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nit, décrit Marseille comme une ville célebre, d’une grandeur considérable, disposée en maniere de théâtre, autour d’un port creusé dans les rochers. Peut-être même étoit-elle encore plus superbe avant le regne d’Auguste, sous lequel vivoit cet auteur ; car en parlant de Cyzique une des belles villes Asiatiques, il remarque qu’elle étoit enrichie des mêmes ornemens d’architecture qu’on avoit autrefois vû dans Rhodes, dans Carthage & dans Marseille.

On ne trouve aujourd’hui aucuns restes de cette ancienne magnificence. Envain y chercheroit-on les fondemens des temples d’Apollon & de Diane, dont parle le même Strabon : on sait seulement que ces édifices étoient sur le haut de la ville. On ignore aussi l’endroit où Pithéas fit dresser sa fameuse aiguille pour déterminer la hauteur du pole de sa patrie ; mais on connoît les révolutions qu’ont éprouvé les Marseillois.

Ils firent de bonne-heure une étroite alliance avec les Romains, qui les aimerent & les protégerent beaucoup. Leur crédit devint si grand à Rome qu’ils obtinrent la révocation d’un decret du sénat, par lequel il étoit ordonné que Phocée en Ionie seroit rasée jusqu’aux fondemens, pour avoir tenu le parti de l’imposteur Aristonique qui vouloit s’emparer du royaume d’Attale. Les Marseillois par reconnoissance donnerent lieu à la conquête de la Gaule Trisalpine, en en ouvrant la porte ; mais ils furent subjugués par Jules César, pour avoir embrassé le parti de Pompée.

Après avoir perdu leur puissance, ils renoncerent à leurs vertus, à leur frugalité, & s’abandonnerent à leurs plaisirs, au point que les mœurs des Marseillois passerent en proverbe, si l’on en croit Athénée, pour désigner celles des gens perdus dans le luxe & la mollesse. Ils cultiverent encore toutefois les sciences, comme ils l’avoient pratiqué depuis leur premier établissement ; & c’est par eux que les Gaulois se défirent de leur premiere barbarie. Ils apprirent l’écriture des Marseillois, & en répandirent la pratique chez leurs voisins ; car César rapporte que le regître des Helvétiens, qui fut enleve par les Romains, étoit écrit en caractere grec, qui ne pouvoit être venu à ce peuple que de Marseille.

Les Marseillois dans la suite quitterent eux-mêmes leur ancienne langue pour le latin ; Rome & l’Italie ayant été subjuguées dans le v. siecle par les Hérules, Marseille tomba sous le pouvoir d’Enric roi des Wisigoths & de son fils Alaric, après la mort duquel Théodose roi des Ostrogoths, s’empara de cette ville & du pays voisin. Ses successeurs la céderent aux rois Mérovingiens, qui en jouirent jusqu’à Charles-Martel. Alors le duc Moronte s’en rendit le maître, & se mit sous la protection des Sarrazins. Cependant ce prince étant pressé vivement par les François, se sauva par mer, & Marseille obéit aux Carlovingiens, puis aux rois de Bourgogne, & finalement aux comtes d’Arles.

Ce fut sous le regne de Louis l’aveugle, & le gouvernement d’Hugues comte d’Arles, que les Sarrazins qui s’étoient établis & fortifiés sur les côtes de Provence, ruinerent toutes les villes maritimes, & spécialement Marseille.

Elle eut le bonheur de se rétablir sous le regne de Conrad le pacifique. Ses gouverneurs, qu’on appelloit vicomtes, se rendirent absolus sur la fin du x. siecle. Guillaume, qui finit ses jours en 1004, fut son premier vicomte propriétaire. Hugues Geofroi, un de ses descendans, laissa son vicomté à partager également entre cinq de ses fils. Alors les Marseillois acquirent insensiblement les portions des uns & des autres, & redevinrent république libre en 1226.

Ils ne jouirent pas long-tems de cet avantage. Charles d’Anjou, frere de S. Louis, étant comte de Provence, ne put souffrir cette république. Il fit marcher en 1262, une armée contre elle & la soumit ; cependant ses habitans se sont maintenus jusqu’à Louis XIV. dans plusieurs grands privileges, & entr’autres dans celui de ne contribuer en rien aux charges de la province.

Cette ville a continué pendant tant de siecles, d’être l’entrepôt ordinaire & des marchandises de la domination Françoise, & de celles qui s’y transportoient des pays étrangers. C’est dans son port qu’on débarquoit le vin de Gaza, en latin Gazetum, si renommé dans les Gaules du vivant de Grégoire de Tours ; & le commerce étoit alors continuel de Marseille à Alexandrie.

Enfin, l’an 1660, Louis XIV, étant allé en Provence, subjugua les Marseillois, leur ôta leurs droits & leurs libertés ; bâtit une citadelle au-dessus de l’abbaye de S. Victor, & fortifia la tour de S. Jean, qui est vis-à-vis de la citadelle à l’entrée du port. On sçait que c’est dans ce port que se retirent les galeres, parce qu’elles y sont abriées des vents du nord-ouest.

Cependant Marseille est restée très-commerçante ; & même les prérogatives dont elle jouit, ont presque donné à cette ville, & aux manufactures méridionales de la France, le privilege exclusif du commerce du Levant ; sur quoi il est permis de douter si c’est un avantage pour le royaume.

Personne n’ignore que cette ville fut désolée en 1720 & 1721, par le plus cruel de tous les fléaux. Un vaisseau venu de Seyde, vers le 15 Juin 1720, y apporta la peste, qui de-là se répandit dans presque toute la province. Cette violente maladie enleva dans Marseille seule, cinquante à soixante mille ames.

Son église est une des plus anciennes des Gaules ; les Provençaux ont soutenu avec trop de chaleur qu’elle a été fondée par le Lazare, qu’avoit ressuscité J. C. & le parlement d’Aix dans le siecle dernier, condamna au feu un livre de M. de Launoy, où ce savant critique détruit cette tradition par les preuves les plus fortes.

Les trois petites îles fortifiées, situées à environ une lieue de Marseille, sont stériles, & ne méritent que le nom d’écueils. Il est singulier qu’on les ait pris pour les Stoëchades des anciens.

Marseille est proche la mer Méditerranée, à six leues S. O. d’Aix, douze N. O. de Toulon, seize S. E. d’Arles, trente-cinq S. O. de Nice, cent soixante & six S. E. de Paris. Long. 22. 58. 30. lat. 43 19. 30.

Erastostène & Hipparque conclurent autrefois, d’une observation de Pithéas, que la distance de Marseille à l’équateur étoit de 43 deg. 17. min. Cette lat. a été vérifiée par Gassendi, par Cassini & par le P. Feüillée. On voit qu’elle differe peu de celle que nous venons de fixer, d’après MM. Lieutaud & de la Hire.

Il est bien glorieux à Marseille d’avoir donné le jour à ce même Pithéas, le plus ancien de tous les gens de lettres qu’on ait vu en occident, & dont Pline fait une mention si honorable : il fleurissoit du tems d’Alexandre le grand. Astronome sublime & profond géographe, il a porté ses spéculations à un point de subtilité, où les Grecs qui se vantoient d’être les inventeurs de toutes les sciences, n’avoient encore pu atteindre.

Cet écrivain en prose & en vers, si délicat & si voluptueux, qui fut l’arbitre des plaisirs de Néron, Pétrone en un mot étoit de Marseille. Mais comme j’aurai lieu de parler de lui plus commodément ailleurs, je passe à quelques modernes dont Marseille