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suite des coques hérissées qui enveloppent le fruit ; après cela par les marrons qui se détachent peu-à-peu ; enfin, par ses feuilles qui tombent en automne : tout cela rend les promenades impraticables à-moins d’un soin continuel. Ces inconvéniens sont cause qu’on n’admet à-présent cet arbre que dans des places éloignées & peu fréquentées : il a de plus un grand défaut ; il veut croître isolé & il refuse de venir lorsqu’il est serré & mêlé parmi d’autres arbres : mais le peu d’utilité de son bois est encore la circonstance qui le fait le plus négliger.

Le seul moyen de multiplier cet arbre est d’en semer les marrons, soit après leur maturité au mois d’Octobre, ou au plus tard au mois de Février. Avec peu de recherches sur la qualité du terrein, un soin ordinaire pour la préparation, & avec la façon commune de semer en pepiniere, les marrons leveront aisément au printems. Ils seront en état d’être transplantés à demeure au bout de cinq ou six ans ; mais ils ne donneront des fleurs & des fruits qu’à environ douze ans. Cette transplantation se doit faire pour le mieux en automne, encore durant l’hiver tant qu’il ne gele pas, même à la fin de Février & pour le plus tard au commencement de Mars. On suppose pour ces derniers cas que l’on aura les plants à portée de soi ; car, s’il faut les faire venir de loin, il y aura fort à craindre que la gelée n’endommage les racines ; dès qu’elles en sont frappées, l’arbre ne reprend pas.

Il faut se garder de retrancher la tête du marronnier pendant toute sa jeunesse, ni même lors de la transplantation, cela dérangeroit son accroissement & le progrès de sa tige : ce ne sera que dans la force de l’âge qu’on pourra le tailler sur les côtés pour dégager les allées & en rehausser le couvert. Par ce moyen l’arbre se fortifie, ses branches se multiplient, son feuillage s’épaissit, l’ombre se complete, l’objet annonce pendant du tems sa perfection, & prend peu-à-peu cet air de grandeur qui se fait remarquer dans la grande allée des jardins du palais des Tuileries à Paris.

Le marronnier est plus propre qu’aucun autre arbre à faire du couvert, à donner de l’ombre, à procurer de la fraîcheur ; on l’employera avec succès à former des avenues, des allées, des quinconces, des salles, des grouppes de verdure, &c. Pour planter des allées de marronniers, on met ces arbres à la distance de quinze, dix-huit & vingt piés, selon la qualité du terrein & la largeur de l’allée. On en peut aussi faire de bonnes haies, en les plantant à quatre piés de distance, mais on ne doit pas l’employer à garnir des massifs ou des bosquets, parce qu’il se dégrade & dépérit entre les autres arbres, à moins qu’il ne domine sur eux. Cet arbre souffre de fortes incisions sans inconvénient, & même de grandes mortoises ; on a vû en Angleterre des palissades dont les pieces de support étoient infixées dans le tronc des marronniers, sans qu’il parût après plusieurs années que cela leur causât de dommage. Cet arbre prend tout son accroissement au mois de Mai en trois semaines de tems ; pendant tout le reste de l’année, la seve n’est employée qu’à fortifier les nouvelles pousses, à former les boutons qui doivent s’ouvrir l’année suivante, à perfectionner les fruits, & à grossir la tige & les branches.

Quoique le bois de marronnier ne soit pas d’une utilité générale & immédiate, on peut cependant en tirer du service. Il est blanc, tendre, mollasse & filandreux ; il sert aux Menuisiers, aux Tourneurs, aux Boisselliers, aux Sculpteurs, même aux Ebénistes, pour des ouvrages grossiers & couverts soit par du placage ou par la peinture. Ce bois n’est sujet à aucune vermoulure, il reçoit un beau poli, il

prend aisément le vernis, il a plus de fermeté & il se coupe plus net que le tilleul, & par conséquent il est de meilleur service pour la Gravure. Ce bois n’est un peu propre à brûler que quand il est verd.

Les marrons d’inde présentent un objet bien plus susceptible d’utilité. M. le président Bon a trouvé que ce fruit peut servir à nourrir & à engraisser tant le gros & menu bétail que les volailles de toutes sortes, en prenant seulement la précaution de faire tremper pendant quarante-huit heures dans la lessive d’eau passée à la chaux vive, les marrons après les avoir pelés & coupés en quatre. Ensuite on les fait cuire & réduire en bouillie pour les donner aux animaux. On peut garder ces marrons toute l’année, en les faisant peler & sécher soit au four ou au soleil. Par un procedé un peu différent, la même expérience a été faite avec beaucoup de succès & de profit. Voyez le Journal économique, Octobre 1751. Mais M. Ellis, auteur anglois qui a fait imprimer en 1738 un traité sur la culture de quelques arbres, paroît avoir trouvé un procedé plus simple pour ôter l’amertume aux marrons d’inde, & les faire servir de nourriture aux cochons & aux daims. Il fait emplir de marrons un vieux tonneau mal relié qu’on fait tremper pendant trois ou quatre jours dans une riviere : nulle autre préparation. Cependant on a vû des vaches & des poules manger de ce fruit dans son état naturel & malgré son amertume. Mais il y a lieu de croire que cette amertume fait un inconvénient, puisqu’on a remarqué que les poules qui mangeoient des marrons sans être préparés ne pondoient pas. Ce fruit peut servir à faire de très-bel amydon, de la poudre à poudrer, & de l’huile à brûler ; il est vrai qu’on en tire peu & qu’elle rend une odeur insupportable. Mais sans qu’il y ait ce dernier inconvénient, un seul marron d’inde peut servir de lampe de nuit : il faut le peler, le faire secher, le percer de part en part avec une vrille moyenne, le faire tremper au moins vingt-quatre heures dans quelque huile que ce soit, y passer une petite meche, le mettre ensuite nager dans un vase plein d’eau, & allumer la méche le soir, on est assuré d’avoir de la lumiere jusqu’au jour. On en peut faire aussi une excellente pâte à décrasser les mains & les piés : il faut peler les marrons, les faire secher, les piler dans un mortier couvert, & passer cette poudre dans un tamis très-fin. Quand on veut s’en servir, on jette une quantité convenable de cette poudre dans de l’eau qui devient blanche, savonneuse & aussi douce que du lait ; le fréquent usage en est très-salutaire, & la peau en contracte un lustre admirable. Voyez pour ces deux dernieres propriétés le Journal économique, Septembre 1752. Les marrons d’inde ont encore la propriété de savonner & blanchir le linge, de dégraisser les étoffes, de lessiver le chanvre, & on en peut faire, en les brûlant, de bonnes cendres pour la lessive. Voyez le Journal économique, Décembre 1757. Enfin, ils peuvent servir à échauffer les poëles, & les Maréchaux s’en servent pour guérir la pousse des chevaux : on fait grand usage de ce remede dans le Levant ; c’est ce qui a fait donner au marronnier d’inde le nom latin hippocastanum, qui veut dire châtaigne de cheval. On prétend que l’écorce & le fruit de cet arbre sont un fébrifuge qu’on peut employer au lieu du quinquina dans les fievres intermittentes ; on assure même que quelques médecins ont appliqué ce remede avec succès.

On ne connoît qu’une seule espece de marronnier d’inde, dont il y a deux variétés. L’une à feuilles panachées de jaune, & l’autre de blanc. Il est difficile de se procurer & de conserver ces variétés, car, quand on les greffe sur des marronniers vigoureux, il arrive souvent que les feuilles de la greffe perdent leur bigarrure en reprenant leur verdure naturelle :