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De la protection du commerce des colonies. Qu’on ne craigne rien : la noblesse dédaignera toujours le commerce ; & le négociant aimera toujours la fortune, ne fût-ce que pour obtenir un jour le droit de mépriser le principe de son élévation.

Ayez une marine marchande, mais que votre premier soin soit de la couvrir.

Quand on déclare qu’on ne donnera aucun convoi aux bâtimens marchands ; c’est exactement les envoyer à l’ennemi.

L’ennemi en prend tant qu’il veut, & puis l’état à la paix lui porte le reste de ses fonds pour les racheter. Voilà ce qui nous arrivera.

Ce ne sont point vos vaisseaux marchands qui ont entretenu de vivres vos colonies. Laissez-donc ce prétexte, & retenez ces vaisseaux dans vos ports, ou les protégez s’ils en sortent.

Ce sont les neutres & les corsaires d’Amérique qui ont pourvu à vos colonies.

Que si vous n’avez point de convoi à donner, sachez-le du-moins de longue-main, afin que vos négotians avides bâtissent des frégates propres à bien courir, & à se défendre.

Si vous accordez aux neutres le trafic dans vos colonies, on y portera peu de vivres, & beaucoup de marchandises seches ; & vous acheverez de les ruiner, à moins que l’ennemi ne vous secoure en se jettant sur les neutres, comme il a fait mal-adroitement.

Voulez-vous rendre au commerce quelqu’activité, retenez les batimens non construits pour se défendre & bien courir, & établissez une chambre d’assurance, de solvabilité non-suspecte, à 25 pour cent l’aller aux colonies, & autant le retour.

Voulez-vous faire le mieux ? donnez seulement à douze frégates un vaisseau de convoi.

Comptez les frégates parties seules à seules, arrivées & revenues, & jugez de l’avantage de cette prime que je propose.

Mais dira-t-on, nos corsaires faits pour la marche, ont bien été pris ? c’est qu’il y a bien de la différence entre celui qui va à la rencontre, & celui qui l’évite.

Les dépenses considérables pour les équipages en Amérique, suffisent pour suspendre les armateurs ; & puis à peine nos marchands sont-ils arrivés aux colonies, que les matelots désertent. Les uns vont en course ; les autres se font acheter à des prix exorbitans. Un capitaine au moment de son départ, est obligé de compter à un matelot jusqu’à mille livres pour la simple traverse.

Republiez les ordonnances sur la désertion, aggravez les peines pour la désertion du service marchand ; punissez les corsaires qui débaucheront ces équipages, &c.

Les vaisseaux du roi enlevent en Amérique tous les matelots du commerce, s’ils en ont besoin. Il n’y a point de regle là-dessus, & il arrive souvent qu’un marchand ainsi dépouillé, ne peut plus appareiller.

On ne peut trop affoiblir l’autorité confiée, à-mesure qu’elle s’éloigne du centre. C’est une loi de la nature physique toujours enfreinte dans la nature morale.

Question difficile à décider : les escadres envoyées aux colonies depuis la guerre, y ont-elles été dépêchées pour protéger le commerce, ou pour le faire ? Ici on dit pour protéger, là-bas on démontre pour commercer.

Plus la défense est éloignée, & l’ennemi proche, plus la sécurité doit être grande. Si on eût fait au cap Breton ce que les Anglois ont fait à Gibraltar, le cap Breton seroit à prendre ; il n’y falloit que trois mille hommes, mais pourvoir à ce qu’on ne pût les réduire que par famine.

S’il faut substituer sans cesse des escadres à des fortifications, tout est perdu.

L’ennemi peuploit les colonies septentrionales ; il falloit peupler la Louisiane & le Canada ; & le Canada seroit encore à nous.

Quand je pense à l’union de nos colons, & aux dissensions continuelles des colons ennemis, je me demande comment nous avons été subjugués, & c’est au ministere à se répondre ; je l’ai mis sur la voie.

Encore une fois, nos colonies bien fortifiées & soutenues par un commerce protégé, & soixante vaisseaux de ligne dirigés contre le commerce de notre ennemi, & l’on verra la suite de cette politique.

Des invasions. 300 lieues de côtes à garder exigent une marine respectable.

Depuis S. Jean-de-Luz jusqu’à Dunkerque sans marine, tout est ouvert.

Qui est-ce qui défendra des côtes ? Des vaisseaux ? abus, abus : ce sont des troupes de terre ; on armera cent cinquante mille hommes pour épargner.

Cependant les riverains seront ravagés, & on ne songera point à les dédommager.

On armera cent cinquante mille hommes, & il est clair que vingt-cinq vaisseaux de ligne dans Brest, & 15 mille hommes sous cette place suffisent pour arrêter tout, excepté la prédilection pour les soldats de terre.

O mes concitoyens, presque toutes vos côtes sont défendues par des rochers ; l’approche en est difficile & dangereuse ; votre ennemi a contre lui tous les avantages de la nature des lieux, & vous ne voulez pas vous en appercevoir.

L’expédition de vos escadres concertées & rendues presqu’en même tems à Louisbourg en 1757, les suites que pouvoit avoir cette expédition, ne vous apprendront-elles point ce que vous ferez au loin, quand vous aurez du sens & de la raison ?

Et croyez-vous que si vous menacez sans cesse les côtes de l’ennemi (& vous les tiendriez en échec à peu de frais), il persistera à les garder ? Le pourroit-il quand il le voudroit ?

Menacez ses côtes, n’attaquez que son commerce, entretenez dans Brest une escadre toûjours armée, montrez des hommes armés & prêts à mettre à la voile, cela suffit : on exécute quelquefois ce qui n’étoit qu’une menace. La menace dans les grandes choses se confond toûjours avec le projet. A la longue, ou l’on s’endort sur le péril, ou las de veiller, on se résoud à tout pour le faire cesser.

Si des navires de transport ajoutent à l’inquiétude ; une bonne fois pour toutes, ayez-en, & la moindre expédition contre les pingues de Hull & d’Yarmouth vous en procureront plus qu’il ne vous en faut ; & vous vous passerez de ces affretemens faits avec des particuliers, qui ont dû vous coûter des sommes immenses. Voyez en 1756 la terreur répandue sur toutes les côtes de l’ennemi ; cependant qu’étiez-vous alors ?

Conclusion. La suite n’est qu’une récapitulation abrégée de l’ouvrage, à laquelle nous nous en serions tenus, si les vûes de l’auteur avoient été publiées, & si nous n’avions craint que restreintes à un petit nombre d’exemplaires qui peuvent aisément se perdre, il n’en fût plus question dans dix ans. Quoi qu’il en arrive, elles se trouveront du moins déposées dans ces feuilles.

L’idée de l’incorporation des matelots par bataillons n’est pas nouvelle. Le roi de Danemark entretient 10000 matelots à son service.

Il est certain que dans les voyages aux pays chauds la mortalité est moindre que sur les vaisseaux de roi dans les campagnes de Louisbourg & du Ca-