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Sont-ce leurs escadres qui ont pris nos corsaires ? l’ennemi les a détruits, en envoyant contre eux séparément quelques vaisseaux de ligne, & quelques frégates d’une certaine force.

Comment les flotes de l’anglois sont-elles convoyées ? Employera-t-il à cet effet une douzaine de vaisseaux de guerre pour chacune ? bloquera-t-il Brest ? Lorient ? Rochefort ? Avec toutes ces dépenses, il ne nous empêcheroit pas d’appareiller, quand nous en aurions le dessein.

C’est au commerce anglois seul qu’il faut faire la guerre : point de paix solide avec ce peuple, sans cette politique. Il ne faut pas songer à devenir puissant, mais dangereux.

Que l’idée d’une guerre avec nous fasse trembler le commerce de l’ennemi ; voilà le point important.

L’ennemi a fait dans la guerre de 1744, des assurances considérables sur nos vaisseaux marchands ; dans celle-ci peu, & à des primes très-onéreuses. Pourquoi cela ? c’est qu’ils ont pensé que la guerre de terre feroit négliger la marine, & ils ont eu raison.

J’entens sans cesse parler de la dette nationale angloise, quelle sottise ! Qui est-ce qui est créancier de l’état ? est ce le rentier ? non, non, c’est le commerçant ; & le commerçant prêtera, je vous en répons, tant qu’il ne sera pas troublé.

Vous voulez que le crédit de l’ennemi cesse ; & au lieu de poursuivre le créancier, vous le laissez en repos.

Prenez à l’anglois une colonie, il menacera ; ruinez son commerce, il se révoltera.

L’ennemi s’applique à ruiner notre marine marchande ; c’est qu’il juge de nous par lui.

Sans commerce maritime, nous en serions encore puissans ; lui, rien. Ses escadres empêcheront-elles de desirer, d’exporter nos denrées, nos vins, nos eaux-de-vie, nos soieries ? Lui-même les prendra malgré toute la sévérité de ses réglemens.

La marine de l’ennemi n’existe que par sa finance ; & sa finance n’a d’autre fonds que son commerce. Faisons donc la guerre à son commerce, & à son commerce seul ; employons-là l’hiver & nos vaisseaux ; soyons instruits du départ de ses flotes ; ayons quelques corvettes en Amérique, &c.

Vous voilà donc pirates, dira-t-on ? sans doute : c’est le seul rôle qui nous convienne.

Tant que vous vous bornerez au soutien de vos colonies, vous serez dupes ; & vos matelots passeront à une nation qui est toûjours en croisiere, d’une nation qui n’y est jamais.

Croisez, envoyez vos vaisseaux de ligne en course, & vous aurez de grands marins ; vous resserrerez l’étendue des escadres ennemies ; vous l’attaquerez dans son endroit sensible, & vous le contraindrez à la paix.

Des officiers de marine. Ici c’est la noblesse seule qui commande la marine ; en Angleterre, quiconque a du talent.

Ici, après trente ans de paix, des gens qui n’ont jamais navigué osent se présenter : c’est un grand mal qu’ils osent. En Angleterre, ce sont toûjours des hommes qui ont été employés sur des bâtimens marchands.

Le gentilhomme marin ne s’honore point de la connoissance de son métier : voilà le pis.

Peut-être saura-t-il le pilotage : pour l’art du matelot, il le dédaigne ; sa fortune n’y est pas attachée, & son ancienneté & ses protections parleront pour lui.

Il se propose ou de ne combattre qu’avec des forces supérieures, ou réparer l’ignorance par la bravoure. Quelle erreur ! ce brave ne sait pas que son ignorance lui lie les mains. J’en ai vu, j’en ai vu de

ces braves mains-là liées, & j’en pleurois.

L’ignorance est le tombeau de l’émulation.

Dans la marine marchande, un armateur ne se choisira qu’un capitaine expérimenté ; dans la marine royale, on suppose tous les officiers également habiles.

Nos équipages sont toûjours les plus nombreux ; il faut donc aborder, & depuis Duguai, on ne sait plus ce que c’est.

Duguai avec son François de 40 canons, aborda & prit des villes ambulantes.

Le grand nombre nuit dans un combat au canon.

C’est manquer à l’état que de ne pas combattre vergue à vergue un ennemi d’un tiers moins fort en nombre ; mais pour exécuter un abordage, il ne suffit pas d’être brave, il faut encore être un grand marin : le niera-t-on ?

Mais est-ce dans le combat seulement que la science de toutes les parties du métier de la mer est nécessaire à l’officier ?

Et l’économie des armemens, & la consommation & la qualité des matieres, & la connoissance des rades, &c. &c. Tout ce qui est des agrès, des accidens, &c. n’est-il pas de sa compétence ?

Pour ceux qui savent, les pilotes n’ont qu’une autorité précaire : que l’officier puisse donc se passer de ses conseils, ou les recevoir sans humeur.

Des corsaires sont sortis de nos ports avec 300 hommes d’équipage, parmi lesquels il n’y avoit pas 50 hommes de mer. Oui, mais l’habileté de ceux-ci suppléoit à tout.

Mépriser la connoissance du service du matelot, c’est dire, je suis fait pour commander, moi ; mais que m’importe le bien ou mal exécuté ?

L’ordonnance dit, les gardes embarqués serviront comme soldats ; il falloit dire comme matelots : Barth a été matelot.

En Angleterre, le garde-marine fait le service de matelot ; il indique le travail & l’exécute : le nôtre a toutes sortes de maîtres à terre ; en mer il ne fait rien.

Ce jeune homme ignorera toute sa vie les côtes : c’est le gouvernement qui le veut, en donnant le commandement des frégates & corvettes à convoyer ou à croiser, à des officiers de fortune. On lui donne un pilote cotier, & ne vaudroit-il pas mieux qu’il pût s’en passer ?

On compte 1200 officiers de marine ; l’ordonnance en met six sur les vaisseaux du premier & du second rang ; quatre sur les frégates, & trois sur les corvettes. Voilà de quoi armer en officiers 240 bâtimens que nous n’avons pas. Pourquoi donc ne les donne-t-on pas aux marchands ? c’est qu’ils sont mauvais. C’est ainsi que la Cour aide le mépris des officiers, & elle ne sauroit faire autrement. D’un autre côté, elle avilit les officiers marchands, en leur refusant des dignités & des grades qu’ils méritent. Quel deshonneur peut faire à un gentilhomme la confraternité d’un homme de mérite ?

Que l’officier de marine serve le marchand, s’il le juge à propos ; au moins le ministre ne doit pas plus le lui défendre que lui imposer.

Qu’on passe sans obstacle de l’un à l’autre service. Il faut réformer le corps des pilotes hauturiers, & le remplacer par un certain nombre d’enseignes de vaisseaux de la marine marchande. Il en sera embarqué deux sur chaque vaisseau, l’un pour inspecteur de la partie du maître, l’autre du pilotage.

Que les gardes-marine servent de pilotins à bord des vaisseaux sous ces inspecteurs.

Les officiers de fortune sont presque tous sur les mêmes bâtimens, il faut les disperser.

Je ne parle point des encouragemens, il en faut par-tout, c’est la même chose pour les châtimens.