Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous les peines les plus grieves ; l’aisance de sept à huit personnes continuent de condamner à mort ou à la maladie cinq à six cens hommes non moins utiles.

Qu’on tienne la main à l’exécution de l’ordonnance de balayer tous les jours, d’ouvrir les sabords, lorsque le tems le permet ; de laver deux fois le jour les parcs aux moutons, les cages à volailles, &c. de jetter de l’eau & de frotter soir & matin le dernier pont, les tillacs entre les ponts, &c.

Mais encore une fois comment espérer ces attentions, sans l’intérêt personnel de l’officier ?

Il faut retirer de l’entre-pont le parc aux moutons, loger le bétail en-haut, ou s’en priver. Ce lieu sert d’asile au grand nombre de l’équipage, & il ne reçoit de jour que par les écoutilles.

Faites faire branle bas deux fois par semaine, pour laver & frotter plus aisément entre les ponts.

Mais sans un arrangement tendant à intéresser l’officier au salut du matelot, n’attendez pas que ces choses se fassent.

Du moyen d’avoir des matelots. Je sais ce que je dis : un matelot n’est pas aussi difficile à faire qu’on pense. Lorsque le cœur est guéri du mal de mer, il ne faut plus que quelque tems de pratique ; deux mois pour le tout.

Une galere échoue sur les côtes de l’Italie ; les Romains construisent des bâtimens sur ce modele : en trois mois des matelots sont dressés ; une flote est équipée, & les Carthaginois battus sur mer.

L’art du matelot est autre chose à présent, d’accord ; mais le pis, c’est que nous ne sommes pas des Romains.

Nous avons perdu beaucoup de matelots ; cependant il en reste plus qu’il n’en faut pour en former.

Qu’on essaye ce que feront cent hommes de mer, dans un vaisseau de guerre, où le reste de l’équipage n’aura jamais navigué, en deux mois de croisiere, je ne demande que ce tems.

Les hommes les moins robustes sont guéris en huit ou quinze jours du mal de mer.

Après ce repos, qu’on fasse monter sans cesse les novices dans les haubans & sur les vergues, avec d’autres qui leur montrent à prendre un ris & à serrer une voile.

Dans un autre tems, qu’on leur apprenne à faire des amarrages.

Cela fait, il ne s’agit plus que de les bien commander ; mais où prendre ces novices ? dans le tirage d’une milice de jeunes hommes depuis 16 jusqu’à 30 ans, sans égard à la taille.

Pour ne pas dévaster les côtes, faites ce tirage sur toutes les provinces.

Une cinquantaine de corvettes répandues depuis Bayonne jusqu’à Dunkerque, pourroient commencer ces novices pendant l’hiver.

Exercez ceux qu’on n’embarquera pas dans vos ports ; qu’ils amarrent, gréent, dégréent, & fassent le service du canon & du mousquet.

Donnez leur pour sergens des matelots instruits, pour officiers des pilotes marchands.

Tout le métier consiste à savoir se soutenir sur & avec des cordages.

Il n’est pas rare que des gens qui n’avoient point navigué, soient devenus sur les corsaires d’assez bons matelots, après une course de deux mois ; quoique les capitaines qui ne les avoient pris que pour soldats, ne les eussent pas instruits.

Dans la plûpart des vaisseaux anglois, combien de gens qui n’ont jamais vu la mer ? lisez là-dessus les feuilles de l’état politique de l’Angleterre.

Rien de plus étrange que l’usage de renvoyer les équipages après la campagne.

C’est ou économie ou justice.

Mauvaise économie de renvoyer des matelots pour en faire revenir autant deux mois après.

Justice cruelle que de le forcer, en ne lui payant au desarmement qu’un mois ou deux de la campagne qu’il vient de faire, d’aller en course, de monter sur d’autres bâtimens, & de gagner de quoi soutenir sa femme & ses enfans.

Fausse politique d’annoncer toûjours à l’ennemi par les levées, la quantité de vaisseaux qu’on veut armer.

Et puis l’attente des équipages traîne les armemens en longueur : les uns restent malades sur les routes ; les autres excédés de la fatigue du voyage, ne peuvent s’embarquer, ou languissent sur le vaisseau. Ceux qui profitent du congé pour suivre les corsaires, sont pris. Il y en a qui de desespoir se vendent à l’ennemi pour deux ou trois cens livres, & sont perdus pour la patrie.

Les flotes espagnoles sont pleines de matelots françois.

Jusqu’à ce jour, les classes ont eu une peine infinie à satisfaire aux levées ordonnées, quoique modiques. Qu’a-t-on fait ? on a renvoyé au service les matelots qui en revenoient.

Abandonner la marine, ou retenir pendant l’hiver dix mille matelots : point de milieu.

Dix mille, indépendamment de ceux qui sont employés en Amérique & aux Indes.

Avec ces dix mille hommes prêts, on équipe en quinze jours trente vaisseaux de guerre.

Occupez ces hommes à terre, partie à l’entretien des navires, partie à l’exercice du canon & du mousquet dans les ports de Bretagne & d’Aunis.

Qu’ils apprennent la charpente & le calfatage ; l’espoir d’apprendre ces métiers les attirera au service.

Ces métiers appris ils subsisteront, & les salaires exorbitans de ceux qui y vaquent diminueront.

De la nécessité de croiser contre le commerce anglois. S’il faut croiser, l’hiver est la saison la plus avantageuse pour la puissance la plus foible : autre raison d’entretenir des matelots dans cette saison.

Vous encouragez à la course, cela ne suffit pas ; il faut des vaisseaux de guerre pour soutenir l’armateur.

Défendre la course ou la soutenir, point de milieu.

Que font tout l’hiver des vaisseaux de guerre dans des ports ? Quel risque pour eux sur la mer ? Les nuits sont longues, les escadres peu à craindre, les coups de vent les dispersent.

Douze vaisseaux de guerre croisant au premier méridien depuis 45 jusqu’à 50 degrés de latitude, feront plus de mal à l’ennemi en hiver, que toutes nos forces réunies ne lui en peuvent faire en été.

On n’a point armé à cet effet, & nos corsaires ont presque tous été pris.

Les matelots étant devenus rares, on a interdit cette navigation, & l’ennemi a commercé librement.

Pourquoi les armateurs se sont-ils soutenus sous Louis XIV. par les escadres qui croisoient ?

Mais les forces de l’ennemi n’étoient pas alors aussi considérables : fausse réponse. Duguai & Barth étoient à la mer & interceptoient des flotes à l’anglois & au hollandois combinés.

De quoi s’agit-il ? de savoir où croisent à-peu-près les escadres, & de les éviter si on n’est pas en force pour les combattre.

Et nos vaisseaux de guerre ne sont-ils pas sortis de Brest, & n’y sont-ils pas revenus malgré les escadres angloises qui croisoient sur Ouessant ?

Combien de vaisseaux anglois croisent seuls ?