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plus complette, & où elle résulte de l’exercice, non-seulement possible, mais actuel de toutes les fonctions. Dans tous les temps, les lois politiques fondées sur celles de la nature, ont encourage le mariage, par des récompenses ou des distinctions accordées à ceux qui en subissoient le joug, & par des punitions ou un déshonneur qu’elles attachoient à ceux qui s’y soustrayoient. La stérilité ou le célibat étoit chez les Juifs une espece d’opprobre ; les célibataires étoient chez les anciens chrétiens, jugés indignes des charges de la magistrature. Les Romains couronnoient ceux qui avoient été mariés plusieurs fois. Et d’un autre côté, les Spartiates, peuples gouvernés par des lois dont la sagesse sera à-jamais célebre, instituerent une fête où ceux qui n’étoient point mariés étoient fouettés par des femmes : & de nos jours, le célibat n’est honoré que parce qu’il est devenu un point de religion. L’on a vû cependant le mariage & la fécondité excités & récompensés par des pensions, par des diminutions d’impôts.

Mais comme l’excrétion de semence retenue peut être nuisible, de-même si elle est immodérée, elle devient la source de maladies très-sérieuses. V. Manustupration. Le mariage influe à un tel point sur la santé, que s’il est modéré, il contribue beaucoup à la rendre florissante & à l’entretenir. Son entiere privation n’est pas indifférente ; & son usage désordonné ou son abus a pareillement ses inconvéniens ; il ne peut produire que des mauvais effets, lorsqu’il est célébré à la suite d’une maladie ; pendant la convalescence, après des pertes excessives, dans un état d’épuisement. Galien rapporte l’histoire d’un homme, qui commençant à se relever d’une maladie sérieuse coucha avec sa femme, & mourut la même nuit.

Sennert remarque très-judicieusement que le mariage, très-salutaire à une chlorétique, lui deviendra pernicieux, s’il y a chez elle un fond de maladie indépendant, s’il y a une lésion considérable dans les visceres. On peut assurer en général que le mariage est nuisible, lorsqu’il n’est pas déterminé par l’abondance ou l’activité de l’humeur séminale : c’est ce qui arrive principalement aux vieillards, & aux jeunes gens qui n’ont pas encore atteint l’âge de puberté. Tous les auteurs qui ont écrit sur cette matiere, se sont mis à la torture pour tâcher de déterminer exactement l’âge le plus propre au mariage ; mais on trouve dans leurs écrits beaucoup de variétés. Les uns fixent ce terme à l’âge de quatorze ans ; d’autres, fondés sur quelques exemples rares de personnes qui ont eu des enfans à huit & dix ans, avancent ce terme ; il en est qui le reculent jusqu’à vingt-cinq ou trente ans. Ce désaccord qu’on observe dans ces différentes décisions, vient de la variété qu’il y a réellement dans la chose ; car il est très-certain que des personnes sont en état de se marier à un âge où d’autres sont aussi insensibles aux plaisirs de l’amour qu’incapables de les goûter. Le climat, le tempérament, l’éducation même, une idiosyncratie particuliere, contribuent beaucoup aux différences. D’ailleurs il faut sur-tout dans les hommes, distinguer le tems où la secrétion de la semence commence à se faire, de celui où ils sont propres à soutenir les fatigues du mariage ; & dans ce cas, le trop de promptitude nuit toujours plus qu’un délai, même poussé trop loin. Dans les premiers tems de la puberté, la semence est encore aqueuse, sans force, & sans activité ; d’ailleurs repompée dans le sang, elle contribue à l’éruption des poils, à la force, à la vigueur mâle qui doit caractériser l’homme. Le tems auquel il peut la répandre sans danger & avec succès, n’est point fixé ; il n’y a même aucun signe assuré qui le

dénote, si ce n’est la cessation de l’accroissement, le bon état des parties de la génération, les érections fréquentes, & les desirs violens. Il ne faut pas confondre ici les desirs ou l’appétit vénériens, qui naissent d’un véritable besoin, qui sont l’effet naturel d’une irritation locale, avec ces cupidités folles, ces passions desordonnées qui proviennent d’une imagination deréglée, d’un libertinage outré qu’on voit souvent dans des jeunes gens, trop instruits avant de sentir, & chez des vieillards qui tâchent de ranimer leurs feux languissans. Le tems de la nubilité est beaucoup mieux marqué dans les femmes : il est pour l’ordinaire plus précoce. L’évacuation menstruelle est le signe ardemment desiré qui désigne leur maturité ; & il n’y a point non plus de tems généralement fixé pour cette évacuation. Elle commence plutôt dans les climats chauds, dans les villes, dans les tempéramens vifs, bilieux, &c. que dans les climats froids, à la campagne, & dans les tempéramens mols, pituiteux, &c. Le tems qu’elles durent est à-peu-près le même dans tous les sujets ; de façon que celles qui ont commencé à être réglées tard, cessent de même. La cessation du flux menstruel est le signe assuré qui fait connoître que les femmes ne font plus propres au mariage. Les hommes n’en ont d’autres marques que la flaccidité des parties qui en sont les instrumens, & l’extinction des desirs ; ce qui arrive ordinairement lorsque le froid de la vieillesse vient glacer les membres, & que le corps desséché commence à décroître ; mais la vieillesse vient plus ou moins promptement dans les différens sujets. C’est sans raison que quelques auteurs ont prétendu en déterminer le commencement à cinquante ou soixante ans ; on voit tous les jours des personnes épuisées par les débauches, avoir avant cet âge toutes les incommodités d’une vieillesse avancée ; tandis que d’autres ayant vécu dans la sobriété, satisfont avec modération à tous leurs besoins, & ne laissent pas d’être jeunes, quoique chargés d’années ; ils sont long-tems capables de donner, même dans l’âge qui chez quelques-uns est vieillesse décrépite, des marques incontestables de virilité. Il n’est pas rare de voir des séxagenaires avoir des enfans ; il y a même des exemples d’hommes qui sont devenus peres à quatre-vingt-dix & cent ans. Uladislas roi de Pologne fit deux garçons à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Félix Platérus raconte que son grand-pere engendra à cent ans. Hoffman fait mention d’un homme qui à l’âge de cent deux ans a eu un garçon, & deux ans après une fille. Ces faits, quelque possibles qu’ils soient, sont toujours surprenans, & par-là même douteux, d’autant mieux qu’ils ne sont pas susceptibles de tous les genres de preuves, & qu’ils ne sont fondés que sur la fragile vertu d’une femme mariée à un vieillard ; ils ne peuvent manquer de trouver des incrédules, persuadés que souvent on est entouré d’enfans dont on se croit le pere. Ce qui peut cependant en augmenter la vraissemblance, c’est qu’on a vu des femmes, déjà vieilles à l’âge de soixante ans, devenir enceintes & accoucher heureusement.

Ainsi on doit défendre le mariage aux hommes qui sont réellement vieux, à ceux qui n’ont pas atteint l’âge de puberté, à ceux en qui elle ne s’est pas manifestée par les signes exposés ; il est même plus prudent d’attendre encore quelques années ; il est rare qu’avant vingt ans un homme puisse sans danger subir le joug d’un mariage continué ; & à-moins de maladie, à vingt-cinq ans il peut en soutenir les fatigues prises avec modération. Une fille pourroit être mariée dès l’instant qu’elle a eu ses regles ; l’excrétion de la semence qui est très-petite ne l’affoiblit que très-peu ; mais il y a d’autres considérations tirées de l’état de grossesse & de l’accou-