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lui-même, d’abord qu’il sentiroit qu’ils avoient été dictés par un esprit d’équité & de desintéressement ; qu’on ne le verroit point chercher dans son âge, dans son expérience & dans ses qualités personnelles, un prétexte bien moins frivole, que celui dont les princes ont coûtume de se servir, pour éluder les reglemens ; qu’il montreroit au contraire par son exemple, qu’ils ne regardent pas moins les rois pour les faire observer, que les sujets, pour s’y soûmettre. Si je faisois gloire, continua-t-il, de passer pour un excellent orateur, j’aurois apporté ici plus de belles paroles que de bonne volonté : mais mon ambition a quelque chose de plus haut que de bien parler. J’aspire au glorieux titre de libérateur & de restaurateur de la France. Je ne vous ai donc point appellés, comme faisoient mes prédécesseurs, pour vous obliger d’approuver aveuglément mes volontés : je vous ai fait assembler pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre ; en un mot, pour me mettre en tutele entre vos mains. C’est une envie qui ne prend guere aux rois, aux barbes grises & aux victorieux, comme moi : mais l’amour que je porte à mes sujets, & l’extrème desir que j’ai de conserver mon état, me font trouver tout facile & tout honorable.

» Ce discours achevé, Henri se leva & sortit, ne laissant que M. de Sully dans l’assemblée, pour y communiquer les états, les mémoires & les papiers dont on pouvoit avoir besoin. »

On n’ose proposer cette conduite pour modele, parce qu’il y a des occasions où les princes peuvent avoir moins de déférence, sans toutefois s’écarter des sentimens qui font que le souverain dans la société se regarde comme le pere de famille, & ses sujets comme ses enfans. Le grand Monarque que nous venons de citer, nous fournira encore l’exemple de cette sorte de douceur mêlée de fermeté, si requise dans les occasions, où la raison est si visiblement du côté du souverain, qu’il a droit d’ôter à ses sujets la liberté du choix, & de ne leur laisser que le parti de l’obéissance. L’Edit de Nantes ayant été vérifié, après bien des difficultés du Parlement, du Clergé & de l’Université, Henri IV. dit aux évêques : Vous m’avez exhorté de mon devoir ; je vous exhorte du vôtre. Faisons bien à l’envi les uns des autres. Mes prédécesseurs vous ont donné de belles paroles ; mais moi avec ma jaquette, je vous donnerai de bons effets : je verrai vos cahiers, & j’y répondrai le plus favorablement qu’il me sera possible. Et il répondit au Parlement qui étoit venu lui faire des remontrances : Vous me voyez en mon cabinet où je viens vous parler, non pas en habit royal, ni avec l’épée & la cappe, comme mes prédécesseurs ; mais vêtu comme un pere de famille, en pourpoint, pour parler familierement à ses enfans. Ce que j’ai à vous dire, est que je vous prie de vérifier l’édit que j’ai accordé à ceux de la religion. Ce que j’en ai fait, est pour le bien de la paix. Je l’ai faite au-dehors ; je la veux faire au-dedans de mon royaume. Après leur avoir exposé les raisons qu’il avoit eues de faire l’édit, il ajoûta : Ceux qui empêchent que mon édit ne passe, veulent la guerre ; je la déclarerai demain à ceux de la religion ; mais je ne la ferai pas ; je les y enverrai. J’ai fait l’édit ; je veux qu’il s’observe. Ma volonté devroit servir de raison ; on ne la demande jamais au prince, dans un état obéissant. Je suis roi. Je vous parle en roi. Je veux être obéi. Mém. de Sully, in-4o. p. 594. tom. I.

Voilà comment il convient à un Monarque de parler à ses sujets, quand il a évidemment la justice de son côté ; & pourquoi ne pourroit-il pas ce que peut tout homme qui a l’équité de son côté ? Quant aux sujets, la premiere loi que la religion, la raison & la nature leur imposent, est de respecter eux-mêmes les conditions du contrat qu’ils ont fait, de ne jamais perdre de vûe la nature de leur gouvernement ; en France de ne point oublier que tant que la famil-

le régnante subsistera par les mâles, rien ne les dispensera

jamais de l’obéissance, d’honorer & de craindre leur maître, comme celui par lequel ils ont voulu que l’image de Dieu leur fût présente & visible sur la terre ; d’être encore attachés à ces sentimens par un motif de reconnoissance de la tranquillité & des biens dont ils joüissent à l’abri du nom royal ; si jamais il leur arrivoit d’avoir un roi injuste, ambitieux & violent, de n’opposer au malheur qu’un seul remede, celui de l’appaiser par leur soûmission, & de fléchir Dieu par leurs prieres ; parce que ce remede est le seul qui soit légitime, en conséquence du contrat de soûmission juré au prince régnant anciennement, & à ses descendans par les mâles, quels qu’ils puissent être ; & de considérer que tous ces motifs qu’on croit avoir de résister, ne sont à les bien examiner, qu’autant de prétextes d’infidélités subtilement colorées ; qu’avec cette conduite, on n’a jamais corrigé les princes, ni aboli les impôts ; & qu’on a seulement ajoûté aux malheurs dont on se plaignoit déja, un nouveau degré de misere. Voilà les fondemens sur lesquels les peuples & ceux qui les gouvernent pourroient établir leur bonheur réciproque.

Autorité dans les discours & dans les écrits. J’entens par autorité dans le discours, le droit qu’on a d’être crû dans ce qu’on dit : ainsi plus on a de droit d’être crû sur sa parole, plus on a d’autorité. Ce droit est fondé sur le degré de science & de bonne foi, qu’on reconnoît dans la personne qui parle. La science empêche qu’on ne se trompe soi-même, & écarte l’erreur qui pourroit naître de l’ignorance. La bonne-foi empêche qu’on ne trompe les autres, & réprime le mensonge que la malignité chercheroit à accréditer. C’est donc les lumieres & la sincérité qui sont la vraie mesure de l’autorité dans le discours. Ces deux qualités sont essentiellement nécessaires. Le plus savant & le plus éclairé des hommes ne mérite plus d’être crû, dès qu’il est fourbe ; non plus que l’homme le plus pieux & le plus saint, dès qu’il parle de ce qu’il ne sait pas ; de sorte que S. Augustin avoit raison de dire que ce n’étoit pas le nombre, mais le mérite des auteurs qui devoit emporter la balance. Au reste il ne faut pas juger du mérite, par la réputation, surtout à l’égard des gens qui sont membres d’un corps, ou portés par une cabale. La vraie pierre de touche, quand on est capable & à portée de s’en servir, c’est une comparaison judicieuse du discours avec la matiere qui en est le sujet, considérée en elle-même : ce n’est pas le nom de l’auteur qui doit faire estimer l’ouvrage, c’est l’ouvrage qui doit obliger à rendre justice à l’auteur.

L’autorité n’a de force & n’est de mise, à mon sens, que dans les faits, dans les matieres de religion, & dans l’histoire. Ailleurs elle est inutile & hors d’œuvre. Qu’importe que d’autres ayent pensé de même, ou autrement que nous, pourvû que nous pensions juste, selon les regles du bon sens, & conformément à la vérité ? Il est assez indifférent que votre opinion soit celle d’Aristote, pourvû qu’elle soit selon les lois du syllogisme. A quoi bon ces fréquentes citations, lorsqu’il s’agit de choses qui dépendent uniquement du témoignage de la raison & des sens ? A quoi bon m’assûrer qu’il est jour, quand j’ai les yeux ouverts, & que le soleil luit ? Les grands noms ne sont bons qu’à ébloüir le peuple, à tromper les petits esprits, & à fournir du babil aux demi-savans. Le peuple qui admire tout ce qu’il n’entend pas, croit toûjours que celui qui parle le plus & le moins naturellement est le plus habile. Ceux à qui il manque assez d’étendue dans l’esprit pour penser eux-mêmes, se contentent des pensées d’autrui, & comptent les suffrages. Les demi-savans qui ne sauroient se taire, & qui prennent le silence & la modestie