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au-devant de lui pour l’étouffer dans sa galerie, la boucher, & détruire entierement son travail. Il faut beaucoup d’intelligence, d’adresse & de subtilité dans les mineurs pour se parer des piéges qu’ils se tendent réciproquement. Le mineur, dit M. de Vauban dans ses mémoires ; doit écouter souvent s’il n’entend point travailler sous lui. Il doit sonder du côté qu’il entend du bruit, souvent on entend d’un côté pendant qu’on travaille de l’autre. Si le mineur ennemi s’approche de trop près, on le prévient par une fougace qui l’étouffe dans sa galerie ; pour cet effet on pratique un trou dans les terres de la galerie du côté que l’on entend l’ennemi, de cinq à six pouces de diametre, & de six à sept pouces de profondeur ; on y introduit une gargouche de même diametre qui contient environ dix à douze livres de poudre : on bouche exactement le trou ou son ouverture vers la galerie, par un fort tampon que l’on applique immédiatement à la gargouche, & que l’on soûtient par des étersillons, ou des pieces de bois posées horisontalement, en travers de la galerie, que l’on serre contre les deux côtés de la galerie, en faisant entrer des coins à force entre l’extrémité de ces pieces, & les côtés de la galerie : on met le feu à cette fougace par une fusée, qui passe par un trou fait dans le tampon, & qui communique avec la poudre de la gargouche. Si la galerie du mineur ennemi n’est qu’à quatre ou cinq piés de la tête de cette fougace, elle en sera indubitablement enfoncée, & le mineur qui se trouvera dedans, écrasé ou étouffé par la fumée. On peut aussi chasser le mineur ennemi, & rompre sa galerie, en faisant, comme nous l’avons déja dit, sauter successivement plusieurs petits fourneaux, qui ne peuvent manquer d’ébranler les terres, de les meurtrir, c’est-à-dire, de les crevasser, & de les remplir d’une odeur si puante, que personne ne puisse la supporter : ce qui met les mineurs ennemis absolument hors d’état de travailler dans ces terres. On en est moins incommodé du côté de l’assiégeant, parce que les galeries étant beaucoup plus petites, & moins enfoncées que celle des assiégés, l’air y circule plus aisément, & il dissipe plus promptement la mauvaise odeur.

« On peut aussi crever la galerie de l’ennemi, lorsque l’on n’en est pas fort éloigné, avec plusieurs bombes que l’on introduit dans les terres du mineur ennemi, & que l’on arrange de maniere qu’elles fassent leur effet vers son côté. Les mineurs en travaillant de part & d’autre pour aller à la découverte, & se prévenir réciproquement, ont de grandes sondes avec lesquelles ils sondent l’épaisseur des terres, pour juger de la distance à laquelle ils peuvent se trouver les uns des autres. Il faut être alerte là-dessus, & lorsque le bout de la sonde paroît, se disposer à remplir le trou qu’elle aura fait, aussi-tôt qu’elle sera retirée, par le bout d’un pistolet, qui étant introduit bien directement dans ce trou, & tiré par un homme assûré, dit M. de Vauban, ne peut guere manquer de tuer le mineur ennemi. On doit faire suivre le premier coup de pistolet de trois ou quatre autres ; & ensuite nettoyer le trou avec la sonde, pour empêcher que le mineur ennemi ne le bouche de son côté. Il est important de l’en empêcher, pour qu’il ne puisse pas continuer son travail dans cet endroit, & qu’il soit totalement obligé de l’abandonner.

« Toutes ces chicanes & plusieurs autres qu’on peut voir dans les mémoires de M. de Vauban, font connoître que l’emploi de mineur demande non seulement de l’adresse & de l’intelligence, mais aussi beaucoup de courage pour parer & remédier à tous les obstacles qu’il rencontre dans la conduite des travaux dont il est chargé : il s’en pare assez ai-

sément quand il est maître du dessous : mais quand

il ne l’est point, sa condition est des plus fâcheuses.

« Pour s’assurer si l’on travaille dans la galerie, le mineur se sert ordinairement d’un tambour sur lequel on met quelque chose ; l’ébranlement de la terre y cause un certain trémoussement qui avertir du travail qu’on fait dessous. Il prête aussi l’oreille attentivement sur la terre : mais le trémoussement du tambour est plus sûr. C’est un des avantages des plus considérables des assiégés de pouvoir être maîtres du dessous de leur terrein : ils peuvent arrêter par-là les mineurs des assiégeans à chaque pas, & leur faire payer cherement le terrein, qu’ils se trouvent à la fin obligés de leur abandonner : je dis de leur abandonner ; parce que les assiégeans qui ont beaucoup plus de monde que les assiégés, beaucoup plus de poudre, & qui sont en état de pouvoir réparer les pertes qu’ils font, soit en hommes soit en munitions, doivent à la fin forcer les assiégés, qui n’ont pas les mêmes avantages, de se rendre, faute de pouvoir, pour ainsi dire, se renouveller de la même maniere.

« Pendant que le mineur travaille à la construction de sa galerie, on agit pour ruiner entierement toutes les défenses de l’ennemi, & pour le mettre hors d’état de défendre sa breche & de la réparer : pour cela on fait un feu continuel sur les breches, qui empêche l’ennemi de s’y montrer, & de pouvoir s’avancer pour regarder les travaux qui peuvent se faire dans le fossé ou au pié des breches. S’il y a une tenaille, on place des batteries dans les places d’armes rentrantes du chemin couvert de la demi-lune, qui couvrent la courtine du front attaqué, qui puissent plonger dans la tenaille, & empêcher que l’ennemi ne s’en serve pour incommoder le passage du fossé. On peut aussi, pour lui imposer, établir une batterie de pierriers dans le logement le plus avancé de la gorge de la demi-lune : cette batterie étant bien servie, rend le séjour de la tenaille trop dangereux & trop incommode, pour que l’ennemi y reste tranquillement, & qu’il y donne toute l’attention nécessaire pour incommoder le passage du fossé.

« Quelquefois l’ennemi pratique des embrasures biaisées dans la courtine, d’où il peut aussi tirer du canon sur les logemens du chemin couvert, ce qui incommode & ces logemens, & le commencement de la descente du fossé. Les assiégés, au dernier siége de Philisbourg, en avoient pratiqué de semblables dans les deux courtines de l’attaque, ce qui auroit fait perdre bien du monde, s’il avoit fallu établir des batteries sur leur contrescarpe, & faire le passage du fossé de la place.

« Le moyen d’empêcher l’effet de ces batteries, est de tâcher de les ruiner avec les bombes, & de faire en sorte, lorsque le terrein le permet, d’enfiler la courtine par le ricochet. On peut aussi placer une batterie de quatre ou cinq pieces de canon sur le haut de l’angle flanqué de la demi-lune : dans cette position elle peut tirer directement sur la courtine, & plonger vers la tenaille, & la poterne de communication, par où l’ennemi communique dans le fosse lorsqu’il est sec. Enfin on se sert de tous les expédiens, & de tous les moyens que l’intelligence, l’expérience & le génie peuvent donner, pour se rendre supérieur à tout le feu de l’ennemi, pour le faire taire, ou du moins pour que l’ennemi ne puisse se montrer à aucunes de ses défenses, sans y être exposé au feu des batteries & des logemens.

« Nous n’avons point parlé jusqu’ici des flancs concaves & à orillons : on sait que l’avantage de ces flancs est principalement de conserver un canon proche le revers de l’orillon, qui ne pouvant être vû du chemin couvert opposé, ne peut être dé-