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sance, que dépendent les différentes circonstances heureuses ou malheureuses de notre vie & de notre mort ; vous avoüez d’un autre côté que les cieux ont un cours si rapide, qu’un seul instant suffit pour changer la disposition des astres : comment concilier ces deux choses ? & puisque ce mouvement si prompt qu’on ne peut le concevoir, entraîne avec lui tous les corps célestes ; les promesses ou les menaces qui y sont attachées, ne doivent-elles pas aussi changer selon leurs différentes situations : pour lors comment fixer les destinées ? Vous ne pouvez savoir (connoissance pourtant, selon vous, nécessaire) sous quel astre une personne sera née ; vous croyez peut-être que le premier soin des sages femmes est de consulter à la naissance d’un enfant toutes les horloges, de marquer exactement les minutes, & de conserver à celui qui vient de naître ses étoiles comme son patrimoine : mais souvent le péril des meres ne laisse pas lieu à cette attention. Quand on le pourroit ; combien y en a t-il qui négligent de la faire, étant au-dessus de pareilles superstitions ? En supposant même qu’on ait étudié ce moment, l’enfant peut ne pas paroître dans l’instant ; certaines circonstances peuvent laisser un long intervalle : d’ailleurs les cadrans sont ils toûjours justes & exacts ? les horloges, quelque bonnes qu’elles soient, ne se démentent-elles pas souvent par un tems ou trop sec ou trop humide ? qui peut donc assûrer que l’instant auquel des personnes attentives auront placé la naissance d’un enfant, soit le véritable moment qui réponde à son étoile ?

« Je suppose encore avec vous qu’on ait trouvé ce point juste, l’étoile qui a présidé, sa situation, sa force ; pourquoi considérer entre les étoiles celles qui dominoient pendant que le fruit s’animoit dans le ventre de la mere, plûtôt que celles qui paroissoient pendant que le corps encore tendre & l’ame ignorante d’elle-même apprenoit dans sa prison à supporter patiemment la vie.

« Mais laissant toutes ces difficultés, je vous accorde que l’état du ciel étoit bien connu au moment de la naissance : pourquoi faire émaner des astres un pouvoir absolu, je ne dis pas seulement sur les corps, mais aussi sur les volontés ? il faut donc que ce soit d’eux que j’attende mon bonheur ; que ma vie & ma mort en dépendent. Ceux qui s’engagent dans le parti des armes, & qui périssent dans une même bataille, sont-ils nés sous la même constellation ? & peut-on dire qu’un vaisseau qui doit échoüer, ne recevra que ceux que leurs mauvaises étoiles auront condamnés en naissant à faire naufrage ? L’expérience nous fait voir tous les jours que des personnes nées dans des tems bien différens, se livrent au combat, ou montent un vaisseau où ils périssent, n’ayant de commun que l’instant de la mort. Tous ceux qui viennent au monde sous la même disposition du ciel, ont-ils pour cela une même destinée pour la vie & pour la mort ? Vous voyez ici le Roi ; croyez-vous que ceux qui sont nés sous la même étoile, possedent des royaumes, ou pour le moins des richesses, qui prouvent l’heureuse & favorable influence des astres dans leur naissance ? croyez-vous même qu’ils ayent vécu jusqu’à présent ? Voilà M. de Villeroy ; ceux qui sont nés sous la même planete, ont-ils sa sagesse en partage ? sont-ils comme lui honorés de la faveur du prince ? Et ceux qui sont nés dans le même instant que vous, sont-ils tous Astrologues, pour ne rien dire de pis ? Que si quelqu’un périt par la main d’un voleur, son sort, dites-vous, exigeoit qu’il fût tué par la main de ce misérable. Quoi donc ces mêmes astres qui avoient destiné le voyageur dans le moment de sa naissance, à être un jour exposé au fer d’un assassin, ont aussi donné à l’assassin, peut-être long-tems avant la naissance du voyageur,

l’intention & la force pour vouloir & pouvoir exécuter son mauvais dessein ? car les astres, à ce que vous prétendez, concourent également à la cruauté de celui qui tue, & au malheur de celui qui est tué. Quelqu’un est accablé sous les ruines d’un bâtiment ; est-ce donc parce qu’il est condamné par sa destinée à être enseveli dans sa propre maison, que les murs en sont tombés ? On doit raisonner de même à l’occasion des dignités où l’on n’est élevé que par suffrages. La planete ou les astres qui ont présidé à la naissance d’une personne, & qui dans vos principes lui ont destiné des grandeurs, ont-ils pû aussi étendre leur pouvoir jusque sur d’autres hommes qui n’étoient pas encore nés, de qui dépendoient toutefois tous les effets de ces heureuses influences ?

« Ce qu’il pourroit y avoir de vrai, en supposant la réalité des influences des corps célestes, c’est que comme le soleil produit des effets différens sur les choses différentes de la terre, quoique ce soit toûjours les mêmes rayons & la même lumiere, qu’il échauffe & entretient quelques semences, qu’il en fait mourir d’autres, qu’il desseche de petites herbes, tandis que d’autres qui ont plus de suc résistent davantage ; de même aussi plusieurs enfans qui naissent en même tems ressemblent à un champ préparé de différentes manieres, selon la différence du naturel, du tempérament & des habitudes de ceux à qui ils doivent le jour. Cette puissance des astres qui est une pour tous ces enfans, ne doit point dans tous produire les mêmes effets. Si le naturel de l’enfant a quelque rapport avec cette puissance, elle y dominera : s’il est opposé, je doute même qu’elle le corrige. De façon que pour juger sainement quel doit être le caractere d’un enfant, il ne faut pas s’arrêter seulement à considérer les astres, il faut encore remonter aux parens, faire attention à la condition de la mere pendant qu’elle étoit enceinte, & à beaucoup d’autres choses qui sont inconnues.

« Enfin, je vous demande, Chaldéen, si cette influence que vous regardez comme la cause du bonheur ou du malheur, demeurera toûjours au ciel jusqu’au tems marqué, pour descendre ensuite sur terre, & y faire agir des instrumens propres à ce que les astres avoient arrêté ; ou si renfermée dans l’enfant, entretenue & croissant avec lui, elle doit en certaines occasions se faire jour pour accomplir les decrets irrévocables des astres ? Si vous prétendez qu’elle demeure au ciel, il y a dans vos principes une contradiction manifeste ; car puisque le bonheur ou le malheur de celui qui vient au monde, dépend de la maniere dont les astres étoient joints dans le moment de sa naissance, le cours de ces mêmes astres semble avoir détruit cette premiere forme, & en avoir donné une autre peut-être entierement opposée. Dans quelle partie du ciel se sera conservée cette premiere puissance, qui ne doit paroître & joüer, pour ainsi dire, son rôle, que plusieurs années après, comme lorsque l’enfant aura quarante ans ? De croire d’un autre côté que le destin, qui ne doit avoir son effet, que quand cet enfant sera parvenu à un age plus avancé, lui soit attaché dès son enfance, c’est une impertinente rêverie. Quoi-donc, ce sera lui, qui, dans un naufrage où il doit périr, sera cause que les vents s’éleveront, ou que le pilote, s’oubliant lui-même, ira échoüer contre des bancs ? Le laboureur, dans la campagne, aura été l’auteur de la guerre qui l’appauvrit, ou d’un tems favorable qui doit lui donner une moisson abondante ?

« Il est vrai, que quelques-uns parmi vous, publient hautement des oracles, que l’évenement a justifiés : mais ces évenemens justifiés par l’expérience, sont en si petit nombre, relativement à la