Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Persans, les hommes savans, les savans philosophes.

3°. Dans les propositions particulieres, quelques hommes, certaines personnes soûtiennent, &c. un savant m’a dit, &c. on m’a dit, des savans m’ont dit, en sous-entendant quelques uns, aucuns, ou des savans philosophes, en sous-entendant un certain nombre, ou quelqu’autre mot.

4°. Dans les propositions singulieres, le soleil est levé, la lune est dans son plein, cet homme, cette femme, ce livre.

Ce que nous venons de dire des noms qui sont sujets d’une proposition se doit aussi entendre de ceux qui sont le complément immédiat de quelque verbe ou de quelque préposition, Détestons tous les vices, pratiquons toutes les vertus, &c. dans le ciel, sur la terre, &c.

J’ai dit le complément immédiat, j’entens par-là tout substantif qui fait un sens avec un verbe ou une préposition, sans qu’il y ait aucun mot sous-entendu entre l’un & l’autre ; car quand on dit, vous aimez des ingrats, des ingrats n’est pas le complément immédiat de aimez ; la construction entiere est, vous aimez certaines personnes qui sont du nombre des ingrats, ou quelques uns des ingrats, de les ingrats ; quosdam ex, ou de ingratis : ainsi des ingrats énonce une partition c’est un sens partitif, nous en avons souvent parlé.

Mais dans l’une ou dans l’autre de ces deux occasions, c’est-à-dire, 1°. quand l’adjectif & le substantif sont le sujet de la proposition ; 2°. ou qu’ils sont le complément d’un verbe ou de quelque préposition : en quelles occasions faut-il n’employer que cette simple préposition, & en quelles occasions faut-il y joindre l’article & dire du ou de le & des, c’est-à-dire, de les ?

La Grammaire générale dit (pag. 54.) qu’avant les substantifs on dit des, des animaux, & qu’on dit de quand l’adjectif précede, de beaux lits : mais cette regle n’est pas générale, car dans le sens qualificatif indéfini on se sert de la simple préposition de, même devant le substantif, sur-tout quand le nom qualifié est précédé du prépositif un, & on se sert de des ou de les, quand le mot qui qualifie est pris dans un sens individuel, les lumieres des Philosophes anciens, ou des anciens Philosophes.

Voici une liste d’exemples dont le Lecteur judicieux pourra faire usage, & juger des principes que nous avons établis.

Noms avec l’article composé, c’est-à-dire avec la préposition & l’article. Noms avec la seule préposition.
Les ouvrages de Cicéron sont pleins des idées les plus saïnes.
(De les idées.)
Les ouvrages de Cicéron sont pleins d’idées saines.
Voila idées dans le sens individuel. Ides saines est dans le sens spécifique indéfini, général de sorte.
Faites-vous des principes (c’est le sens individuel). Nos connoissances doivent être tirées de principes évidens.
(Sens spécifique) où vous voyez que le substantif précede.
Défaites-vous des prejugés de l’enfance. N’avez-vous point de préjugé sur cette question ?
Cet arbre porte des fruits excellens Cet arbre porte d’excellens fruits (sens de sorte).
Les especes differentes des animaux qui sont sur la terre.
(Sens individuel universel).
Il y a différentes especes d’animaux sur la terre.
Différentes sortes de poissons. &v.
Entrez dans le détail des regles d’une saine dialectique. Il entre dans un grand détail de regles frivoles (voilà le substantif qui précede, c’est le sens spécifique indégini ; on ne parle d’aucunes régles particulieres, c’est le sens de sorte.)

Ces raisons sont des conjectures bien foibles. Ces raisons sont de foibles conjectures.
Faire des mots nouveaux. Faire de nouveaux mots..
Choisir des fruits excellens. Choisir d’excellens fruits.
Chercher des détours. Chercher de longs détours pour exprimer les choses les plus aisées.
Se servir des termes établis par l’usage. Ces exemples peuvent servir de modeles.
Evitez l’air de l’affectation
(sens individuel méthaphysique.)
Evitez tout ce qui a un air d’affectation.
Charger sa mémoire des phrases de Cicéron. Charger sa mémoire de phrases.
Discours soûtenus par des expressions fortes. Discours soûtenus par de vives expressions.
Plein des sentimens les plus beaux. Plein de sentimens.
Plein de grands sentimens.
Il a recueilli des préceptes pour la langue & pour la morale. Recueil de préceptes pour la langue & pour la morale.
Servez vous des signes dont nous sommes convenus. Nous sommes obligés d’user de signes extérieurs pour nous faire entendre.
Le choix des études. Il a fait un choix de livres qui sont, &c.
Les connoissances ont toûjours été l’objet de l’estime, jours été l’objet de l’estime, des loüanges & de l’admiration des hommes. C’est un sujet d’estime, de loüanges & d’admiration.
Les richesses de l’esprit ne peuvent être acquises que par l’étude. Il y a au Pérou une abondance prodigieuse de richesses inutiles.
Les biens de la fortune sont fragiles. (Des biens de fortune, la Bruyere caractères, page 176.)
L’enchainement des preuves fait qu’elles plaisent & qu’elles persuadent. Il y a dans ce livre un admirable enchainement de preuves solides. (sens de sorte.)
C’est par la méditation sur ce qu’on lit qu’on acquiert des connoissances nouvelles. C’est par la méditation qu’on acquiert de nouvelles connoissances.
Les avantages de la mémoire. Il y a différentes sortes de memoire.
La mémoire des faits est la plus brillante. Il n’a qu’une mémoire de faits, & ne retient aucun raisonnement.
La mémoire est le thrésor de l’esprit, le fruit de l’atten tion & de la réflexion. Présence d’esprit ; la mémoire d’esprit & de raison est plus utile que les autres sortes de mémoire.
Le but des bons maîtres doit être de cultiver l’esprit de leurs disciples. Il a un air de maître qui choque.
On ne doit proposer des difficultés que pour faire triompher la vérité. Il a fait un recueil de difficultés dont il cherche la solution.
Le goût des hommes est sujet à des vicissitudes. Une société d’hommes choisis (d’hommes choisis qualifie la société adjectivement).
Il n’a pas besoin de la leçon que vous vous voulez lui donner. César n’eut pas besoin d’exemple. Il n’a pas besoin de leçons.

Remarque. Lorsque le substantif précede, comme il signifie par lui-même, ou un être réel ou un être métaphysique considéré par imitation, à la maniere des êtres réels, il présente d’abord à l’esprit une idée d’individualité d’être séparé existant par lui-même ; au lieu que lorsque l’adjectif précede, il offre à l’esprit une idée de qualification, une idée de sorte, un sens adjectif. Ainsi l’article doit précéder le substantif, au lieu qu’il suffit que la préposition précede l’adjectif, à moins que l’adjectif ne serve lui-même avec le substantif à donner l’idée individuelle, comme quand on dit : les savans hommes de l’antiquité : le sentiment des grands philosophes de l’antiquité, des plus savans philosophes : on a fait la description des beaux lits qu’on envoie en Portugal.

Réflexions sur cette regle de M. Vaugelas, qu’on ne doit point mettre de relatif après un nom sans article. L’auteur de la grammaire générale a examiné cette regle (II. partie, chap. X.) Cet auteur paroît la restraindre à l’usage présent de notre langue ; cependant de la maniere que je la conçois, je la crois de toutes les langues & de tous les tems.