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a été adapté à un objet particulier par le changement de quelques lettres, alors on a recours au prépositif par une suite de la premiere origine : c’est ainsi que nous disons le paradis, mot qui à la lettre signifie un jardin planté d’arbres qui portent toute sorte d’excellens fruits, & par extension un lieu de délices.

L’enfer, c’est un lieu bas, d’inferus ; via infera, la rue d’enfer, rue inférieure par rapport à une autre qui est au-dessus. L’univers, universus orbis ; l’être universel, l’assemblage de tous les êtres.

Le monde, du Latin mundus, adjectif, qui signifie propre, élégant, ajusté, paré, & qui est pris ici substantivement : & encore lorsqu’on dit mundus muliebris, la toilette des dames où sont tous les petits meubles dont elles se servent pour se rendre plus propres, plus ajustées & plus séduisantes : le mot Grec κόσμος, qui signifie ordre, ornement, beauté, répond au mundus des Latins.

Selon Platon, le monde fut fait d’après l’idée la plus parfaite que Dieu en conçut. Les Payens frappés de l’éclat des astres & de l’ordre qui leur paroissoit régner dans l’univers, lui donnerent un nom tiré de cette beauté & de cet ordre. Les Grecs, dit Pline, l’ont appellé d’un nom qui signifie ornement, & nous d’un nom qui veut dire, élégance parfaite. (Quem κόσμον Græci, nomine ornamenti appellaverunt, eum & nos à perfectâ absolutâque elegantiâ mundum. Pline 11. 4.) Et Cicéron dit, qu’il n’y a rien de plus beau que le monde, ni rien qui soit au-dessus de l’architecte qui en est l’auteur. (Neque mundo quidquam pulchrius, neque ejus ædificatore præstantius. Cic. de univ. cap. ij.) Cum continuisset Deus bonis omnibus explere mundum.... sic ratus est opus illud effectum esse pulcherrimum. (ib. iij.) Hanc igitur habuit rationem essector mundi molitorque Deus, ut unum opus totum atque perfectum ex omnibus totis, atque perfectis absolveretur. (ib. v.) Formam autem & maximè sibi cognatam & decoram dedit. (ib. vj.) Animum igitur cum ille procreator mundi Deus, ex suâ mente & divinitate genuisset, &c. (ib. viij.) Ut hunc hâc varietate distinctum benè Græci κόσμον, non lucentem mundum nominaremus. (ib. x.)

Ainsi quand les Payens de la Zone tempérée septentrionale, regardoient l’universalité des êtres du beau côté, ils lui donnoient un nom qui répond à cette idée brillante, & l’appelloient le monde, c’est-à-dire l’être bien ordonné, bien ajusté, sortant des mains de son créateur, comme une belle dame sort de sa toilette. Et nous quoiqu’instruits des maux que le péché originel a introduits dans le monde, comme nous avons trouvé ce nom tout établi, nous l’avons conservé, quoiqu’il ne réveille pas aujourd’hui parmi nous la même idée de perfection, d’ordre & d’élégance.

Le soleil, de solus, selon Cicéron, parce que c’est le seul astre qui nous paroisse aussi grand ; & que lorsqu’il est levé, tous les autres disparoissent à nos yeux.

La lune, à lucendo, c’est-à-dire la planete qui nous éclaire, sur-tout en certains tems pendant la nuit. (Sol vel quia solus ex omnibus sideribus est tantus, vel quia cum est exortus, obscuratis omnibus solus apparet ; luna à lucendo nominata, eadem est enim lucina. (Cic. de nat. deor. lib. II. c. xxvij.)

La mer, c’est-à-dire l’eau amere, proprie autem mare appellatur, eo quod aquæ ejus amaræ sint. (Isidor. l. XIII. c. xiv.)

La terre, c’est-à-dire l’élément sec, du Grec τείρω, sécher, & au futur second, τερῶ. Aussi voyons nous qu’elle est appellée arida dans la Genese, ch. j. v. 9. & en S. Matthieu, ch. xxiij. v. 15. circuitis mare & aridam. Cette étymologie me paroît plus naturelle que celle que Varron en donne : terra dicta eo quod teritur. Varr de ling. lat. iv. 4.

Elément est donc le nom générique de quatre es-

peces, qui sont le feu, l’air, l’eau, la terre : la terre se

prend aussi pour le globe terrestre.

Des noms de pays. Les noms de pays, de royaumes, de provinces, de montagnes, de rivieres, entrent souvent dans le discours sans article comme noms qualificatifs, le royaume de France, d’Espagne, &c. En d’autres occasions ils prennent l’article, soit qu’on sousentende alors terre, qui est exprimé dans Angleterre, ou région, pays, montagne, fleuve, riviere, vaisseau, &c. Ils prennent sur-tout l’article quand ils sont personifiés ; l’intérêt de la France, la politesse de la France, &c.

Quoi qu’il en soit, j’ai crû qu’on seroit bien aise de trouver dans les exemples suivant, quel est aujourd’hui l’usage à l’égard de ces mots, sauf au lecteur à s’en tenir simplement à cet usage, ou à chercher à faire l’application des principes que nous avons établis, s’il trouve qu’il y ait lieu.

Noms propres employés seulement avec une préposition sans l’article. Noms propres employés avec l’article.
Royaume de Valence. La France.
Isle de Candie. L’Espagne.
Royaume de France, &c. L’Angleterre.
Il vient de Pologne, &c. La Chine.
Il est allé en Perse, en Suede, &c. Le Japon.
Il est revenu d’Espagne, de Perse, d’Afrique, d’Asie, &c. Il vient de la Chine, du Japon, de l’Amérique, du Perou.
Il demeure en Italie, en France, & à Malte, à Rouen, à Avignon. Il demeure au Pérou, au Japon, à la Chine, aux Indes, à l’Isle St. Domingue.
Les Languedociens & les Provençaux disent en Avignon pour éviter le bâillement ; c’est une faute. La politesse de la France.
L’intérêt de l’Espagne.
On attribue à l’Allemagne l’invention de l’Imprimerie.
Les modes, les Vins de France, les vins de Bourgogne, de Champagne, de Bourdeaux, de Tocaye. Le Mexique.
Le Pérou.
Les Indes.
Le Maine, la Marche, le Perche, le Milanès, le Mantouan, le Parmesan, vin du Rhin.
Il vient de Flandre. Il vient de la Flandre francoise.
A mon départ d’Allemagne. La gloire de l’Allemagne.
L’Empire d’Allemagne.
Chevaux d’Angleterre, de Barbarie, &c.

On dit par opposition le mont-Parnasse, le mont-Valérien, &c. & on dit la montagne de Tarare : on dit le fleuve Don, & la riviere de Seine ; ainsi de quelques autres, surquoi nous renvoyons à l’usage.

Remarques sur ces phrases 1°. il a de l’argent, il a bien de l’argent, &c. 2°. Il a beaucoup d’argent, il n’a point d’argent, &c.

I. L’or, l’argent, l’esprit, &c. peuvent être considérés, ainsi que nous l’avons observé, comme des individus spécifiques ; alors chacun de ces individus est regardé comme un tout, dont on peut tirer une portion : ainsi il a de l’argent, c’est il a une portion de ce tout, qu’on appelle argent, esprit, &c. La préposition de est alors extractive d’un individu, comme la préposition Latine ex ou de. Il a bien de l’argent, de l’esprit, &c. c’est la même analogie que il a de l’argent, &c.

C’est ainsi que Plaute a dit credo ego illic inesse auri & argenti largiter (Rud. act. IV. se. iv. v. 144.) en sous-entendant χρῆμα, rem auri, je crois qu’il y a là de l’or & de l’argent en abondance. Bien est autant adverbe que largiter, la valeur de l’adverbe tombe sur le verbe inesse largiter, il a bien. Les adverbes modifient le verbe & n’ont jamais de complément, ou comme on dit de régime : ainsi nous disons il a bien, comme nous dirions il a véritablement ; nos peres disoient il a merveilleusement de l’esprit.

II. A l’égard de il a beaucoup d’argent, d’esprit, &c. il n’a point d’argent, d’esprit &c. il faut observer que