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couplement, il faut nécessairement que l’abeille femelle soit placée sur le mâle pour la rencontrer, parce qu’elle est recourbée en haut ; c’est ce qu’on a observé pendant trois ou quatre heures. Il y eut plusieurs accouplemens, après quoi le mâle resta immobile, la femelle lui mordit le corcelet, & le soûleva en faisant passer sa tête sous le corps du mâle ; mais ce fut en vain, car il étoit mort. On présenta un autre mâle : mais la mere abeille ne s’en occupa point du tout, & continua pendant tout le reste du jour de faire différens efforts pour tâcher de ranimer le premier. Le lendemain elle monta de nouveau sur le corps du premier mâle, & se recourba de la même façon que la veille, pour appliquer l’extrémité de son corps contre celui du mâle. L’accouplement des abeilles ne consiste-t-il que dans cette jonction qui ne dure qu’un instant ? On présume que c’est la mere abeille qui attaque le mâle avec qui elle veut s’accoupler ; si c’étoit au contraire les mâles qui attaquassent cette femelle, ils seroient quelquefois mille mâles pour une femelle. Le tems de la fécondation doit être nécessairement celui où il y a des mâles dans la ruche ; il dure environ six semaines prises dans les mois de Mai & de Juin ; c’est aussi dans ce même tems que les essains quittent les ruches. Les reines qui sortent sont fécondées ; car on a observé des essains entiers dans lesquels il ne se trouvoit aucun mâle, par conséquent la reine n’auroit pû être fécondée avant la ponte qu’elle fait : aussi-tôt que l’essain est fixé quelque part, vingt-quatre heures après on trouve des œufs dans les gâteaux.

Après l’accouplement, il se forme des œufs dans la matrice de la mere abeille ; cette matrice est divisée en deux branches, dont chacune est terminée par plusieurs filets : chaque filet est creux ; c’est une sorte de vaisseau qui renferme plusieurs œufs disposés à quelque distance les uns des autres dans toute sa longueur. Ces œufs sont d’abord fort petits, ils tombent successivement dans les branches de la matrice, & passent dans le corps de ce viscere pour sortir au-dehors ; il y a un corps sphérique posé sur la matrice ; on croit qu’il en degoutte une liqueur visqueuse qui enduit les œufs, & qui les colle au fond des alvéoles, lorsqu’ils y sont déposés dans le tems de la ponte. On a estimé que chaque extrémité des branches de la matrice est composée de plus de 150 vaisseaux, & que chacun peut contenir dix-sept œufs sensibles à l’œil, par conséquent une mere abeille prête à pondre a cinq mille œufs visibles. Le nombre de ceux qui ne sont pas encore visibles, & qui doivent grossir pendant la ponte, doit être beaucoup plus grand ; ainsi il est aisé de concevoir comment une mere abeille peut pondre dix à douze mille œufs, & plus, en sept ou huit semaines.

Les abeilles ouvrieres ont un instinct singulier pour prévoir le tems auquel la mere abeille doit faire la ponte, & le nombre d’œufs qu’elle doit déposer ; lorsqu’il surpasse celui des alvéoles qui sont faits, elles en ébauchent de nouveaux pour fournir au besoin pressant ; elles semblent connoître que les œufs des abeilles ouvrieres sortiront les premiers, & qu’il y en aura plusieurs milliers ; qu’il viendra ensuite plusieurs centaines d’œufs qui produiront des mâles ; & qu’enfin la ponte finira par trois ou quatre, & quelquefois par plus de quinze ou vingt œufs d’où sortiront les femelles. Comme ces trois sortes d’abeilles sont de différentes grosseurs, elles y proportionnent la grandeur des alvéoles. Il est aisé de distinguer à l’œil ceux des reines, & que l’on a appellé pour cette raison alvéoles royaux ; ils sont les plus grands. Ceux des faux bourdons sont plus petits que ceux des reines, mais plus grands que ceux des mulets ou abeilles ouvrieres.

La mere abeille distingue parfaitement ces diffé-

rens alvéoles ; lorsqu’elle fait sa ponte, elle arrive

environnée de dix ou douze abeilles ouvrieres, plus ou moins, qui semblent la conduire & la soigner ; les unes lui présentent du miel avec leur trompe, les autres la lêchent & la brossent. Elle entre d’abord dans un alvéole la tête la premiere, & elle y reste pendant quelques instans ; ensuite elle en sort, & y rentre à reculons ; la ponte est faite dans un moment. Elle en fait cinq ou six de suite, après quoi elle se repose avant que de continuer. Quelquefois elle passe devant un alvéole vuide sans s’y arrêter.

Le tems de la ponte est fort long ; car c’est presque toute l’année, excepté l’hyver. Le fort de cette ponte est au printems ; on a calculé que dans les mois de Mars & de Mai, la mere abeille doit pondre environ douze mille œufs, ce qui fait environ deux cens œufs par jour : ces douze mille œufs forment en partie l’essain qui sort à la fin de Mai ou au mois de Juin, & remplacent les anciennes mouches qui font partie de l’essain ; car après sa sortie, la ruche n’est pas moins peuplée qu’au commencement de Mars.

Les œufs des abeilles ont six fois plus de longueur que de diametre ; ils sont courbes, l’une de leurs extrémités est plus petite que l’autre : elles sont arrondies toutes les deux. Ces œufs sont d’une couleur blanche tirant sur le bleu ; ils sont revêtus d’une membrane flexible, desorte qu’on peut les plier, & cela se peut faire sans nuire à l’embrion. Chaque œuf est logé séparément dans un alvéole, & placé de façon à faire connoître qu’il est sorti du corps de la mere par le petit bout ; car cette extrémité est collée au fond de l’alvéole. Lorsque la mere ne trouve pas un assez grand nombre de cellules pour tous les œufs qui sont prêts à sortir, elle en met deux ou trois, & même quatre dans un seul alvéole ; ils ne doivent pas y rester ; car un seul ver doit remplir dans la suite l’alvéole en entier. On a vû les abeilles ouvrieres retirer tous les œufs surnuméraires : mais on ne sçait pas si elles les replacent dans d’autres alvéoles ; on ne croit pas qu’il se trouve dans aucune circonstance plusieurs œufs dans les cellules royales.

La chaleur de la ruche suffit pour faire éclorre les œufs, souvent elle surpasse de deux degrés celle de nos étés les plus chauds : en deux ou trois jours l’œuf est éclos ; il en sort un ver qui tombe dans l’alvéole. Dès qu’il a pris un peu d’accroissement, il se roule en cercle ; il est blanc, charnu, & sa tête ressemble à celle des vers à soie ; le ver est posé de façon qu’en se tournant, il trouve une sorte de gelée ou de bouillie qui est au fond de l’alvéole, & qui lui sert de nourriture. On voit des abeilles ouvrieres qui visitent plusieurs fois chaque jour les alvéoles où sont les vers : elles y entrent la tête la premiere, & y restent quelque tems. On n’a jamais pû voir ce qu’elles y faisoient : mais il est à croire qu’elles renouvellent la bouillie dont le ver se nourrit. Il vient d’autres abeilles qui ne s’arrêtent qu’un instant à l’entrée de l’alvéole comme pour voir s’il ne manque rien au ver. Avant que d’entrer dans une cellule, elles passent successivement devant plusieurs ; elles ont un soin continuel de tous les vers qui viennent de la ponte de leur reine : mais si on apporte dans la ruche des gâteaux dans lesquels il y auroit des vers d’une autre ruche, elles les laissent périr, & même elles les entraînent dehors. Chacun des vers qui est né dans la ruche n’a que la quantité de nourriture qui lui est nécessaire, excepté ceux qui doivent être changés en reines ; il reste du superflu dans les alvéoles de ceux-ci. La quantité de la nourriture est proportionnée à l’âge du ver ; lorsqu’ils sont jeunes, c’est une bouillie blanchâtre, insipide comme de la colle de farine. Dans un âge plus avancé, c’est une gelée jaunâtre ou verdâtre qui a un goût de sucre ou