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Christ dit à ses disciples, &c. se sert de la préposition ad, ait ad illos. Les Latins disoient également loqui alicui, & loqui ad aliquem, parler à quelqu’un ; afferre aliquid alicui, ou ad aliquem, apporter quelque chose à quelqu’un, &c. Si de ces deux manieres de s’exprimer nous avons choisi celle qui s’énonce par la préposition, c’est que nous n’avons point de datif.

1°. Les Latins disoient aussi pertinere ad ; nous disons de même avec la préposition appartenir à.

2°. Notre préposition à vient aussi quelquefois de la préposition Latine à ou ab ; auferre aliquid alicui ou ab aliquo, ôter quelque chose à quelqu’un : on dit aussi, eripere aliquid alicui ou ab aliquo ; petere veniam à Deo, demander pardon à Dieu.

Tout ce que dit M. l’abbé Regnier pour faire voir que nous avons des datifs, me paroît bien mal assorti avec tant d’observations judicieuses qui sont répandues dans sa Grammaire. Selon ce célebre académicien (p. 238.) quand on dit voilà un chien qui s’est donné à moi, à moi est au datif : mais si l’on dit un chien qui s’est adonné à moi, cet à moi ne sera plus alors un datif ; c’est, dit-il, la préposition Latine ad. J’avoue que je ne saurois reconnoître la préposition Latine dans adonné à, sans la voir aussi dans donné à, & que dans l’une & dans l’autre de ces phrases les deux à me paroissent de même espece, & avoir la même origine. En un mot, puisque ad aliquem, ou ab aliquo ne sont point des datifs en Latin, je ne vois pas pourquoi à quelqu’un pourroit être un datif en François.

Je regarde donc de & à comme de simples prépositions, aussi bien que par, pour, avec, &c. les unes & les autres servent à faire connoître en François les rapports particuliers que l’usage les a chargés de marquer, sauf à la langue Latine à exprimer autrement ces mêmes rapports.

A l’égard de le, la, les, je n’en fais pas une classe particuliere de mots sous le nom d’article ; je les place avec les adjectifs prépositifs, qui ne se mettent jamais que devant leurs substantifs, & qui ont chacun un service qui leur est propre. On pourroit les appeller prénoms.

Comme la société civile ne sauroit employer trop de moyens pour faire naître dans le cœur des hommes des sentimens, qui d’une part les portent à éviter le mal qui est contraire à cette société, & de l’autre les engagent à pratiquer le bien, qui sert à la maintenir & à la rendre florissante ; de même l’art de la parole ne sauroit nous donner trop de secours pour nous faire éviter l’obscurité & l’amphiboiogie, ni inventer un assez grand nombre de mots, pour énoncer non seulement les diverses idées que nous avons dans l’esprit, mais encore pour exprimer les différentes faces sous lesquelles nous considérons les objets de ces idées.

Telle est la destination des prénoms ou adjectifs métaphysiques, qui marquent, non des qualités physiques des objets, mais seulement des points de vûes de l’esprit, ou des faces différentes sous lesquelles l’esprit considere le même mot ; tels sont tout, chaque, nul, aucun, quelque, certain, dans le sens de quidam, un, ce, cet, cette, ces, le, la, les, auxquels on peut joindre encore les adjectifs possessifs tirés des pronoms personnels ; tels sont mon, ma, mes, & les noms de nombre cardinal, un, deux, trois, &c.

Ainsi je mets le, la, les au rang de ces pronoms ou adjectifs métaphysiques. Pourquoi les ôter de la classe de ces autres adjectifs ?

Ils sont adjectifs, puisqu’ils modifient leur substantif, & qu’ils le font prendre dans une acception particuliere, individuelle, & personnelle. Ce sont des adjectifs métaphysiques, puisqu’ils marquent, non des qualités physiques, mais une simple vûe particuliere de l’esprit.

Presque tous nos Grammairiens (Regnier, p. 141. Restaut, p. 64.) nous disent que le, la, les, servent à faire connoître le genre des noms, comme si c’étoit là une propriété qui fût particuliere à ces petits mots. Quand on a un adjectif à joindre à un nom, on donne à cet adjectif, ou la terminaison masculine, ou la féminine. Selon ce que l’usage nous en a appris, si nous disons le soleil plûtôt que la soleil, comme les Allemands, c’est que nous savons qu’en François soleil est du genre masculin, c’est-à-dire, qu’il est dans la classe des noms de choses inanimées auxquels l’usage a consacré la terminaison des adjectifs déjà destinée aux noms des mâles, quand il s’agit des animaux. Ainsi lorsque nous parlons du soleil, nous disons le soleil, plûtôt que la, par la même raison que nous dirions beau soleil, brillant soleil, plûtôt que belle ou brillante.

Au reste, quelques Grammairiens mettent le, la, les, au rang des pronoms : mais si le pronom est un mot qui se mette à la place du nom dont il rappelle l’idée, le, la, les, ne seront pronoms que lorsqu’ils feront cette fonction : alors ces mots vont tous seuls & ne se trouvent point avec le nom qu’ils représentent. La vertu est aimable ; aimez-la. Le premier la est adjectif métaphysique ; ou comme on dit article, il précede son substantif vertu ; il personifie la vertu ; il la fait regarder comme un individu métaphysique : mais le second la qui est après aimez, rappelle la vertu, & c’est pour cela qu’il est pronom, & qu’il va tout seul ; alors la vient de illam, elle.

C’est la différence du service ou emploi des mots, & non la différence matérielle du son, qui les fait placer en différentes classes : c’est ainsi que l’infinitif des verbes est souvent nom, le boire, le manger.

Mais sans quitter nos mots, ce même son la n’est-il pas aussi quelquefois un adverbe qui répond aux adverbes latins ibi, hâc, istac, illâc, il demeure là, il va là ? &c. N’est-il pas encore un nom substantif quand il signifie une note de musique ? Enfin n’est-il pas aussi une particule explétive qui sert à l’énergie ? ce jeune homme-là, cette femme-là, &c.

A l’égard de un, une, dans le sens de quelque ou certain, en Latin quidam, c’est encore un adjectif prépositif qui désigne un individu particulier, tiré d’une espece, mais sans déterminer singulierement quel est cet individu, si c’est Pierre ou Paul. Ce mot nous vient aussi du Latin, quis est is homo, unus ne amator ? (Plaut. Truc. I. ij. 32.) quel est cet homme, est-ce là un amoureux ? hic est unus servus violentissimus, (Plaut. ibid. II. I. 39.) c’est un esclave emporté ; sicut unus paterfamilias, (Cic. de orat. i. 29.) comme un pere de famille. Qui variare cupit rem prodigialiter unam, (Hor. art. poet. v. 29.) celui qui croit embellir un sujet, unam rem, en y faisant entrer du merveilleux. Forte unam adspicio adolescentulam, (Ter. And. act. I. sc. i. v. 91.) j’apperçois par hasard une jeune fille. Donat qui a commenté Térence dans le tems que la langue latine étoit encore une langue vivante, dit sur ce passage que Térence a parlé selon l’usage ; & que s’il a dit unam, une, au lieu de quamdam, certaine, c’est que telle étoit, dit-il, & que telle est encore la maniere de parler. Ex consuetudine dicit unam, ut dicimus, unus est adolescens : unam ergo τῶ ἰδιωτισμῶ dixit, vel unam pro quamdam. Ainsi ce mot n’est en François que ce qu’il étoit en Latin.

La Grammaire générale de P. R. pag. 53. dit que un est article indéfini. Ce mot ne me paroît pas plus article indéfini que tout, article universel, ou ce, cette, ces, articles définis. L’auteur ajoûte, qu’on croit d’ordinaire que un n’a point de pluriel ; qu’il est vrai qu’il n’en a point qui soit formé de lui-même : (on dit pourtant, les uns, quelques uns ; & les Latins ont dit au pluriel, uni, unæ, &c. Ex unis geminas mihi conficiet nuptias. (Ter. And. act. IV. sc. i. v. 51.) Aderit una