Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisons usage avec les verbes, ille affirmat, (Phaed. Lib. III. fab. iij. v. 4.) il assûre. ille fecit, (Id. Lib. III. fab. 5. v. 8.) il a fait, ou il fit. Ingenio vires ille dat, ille rapit. (Ovid. Her. Ep. xv. v. 206.) A l’égard de elle, il vient de illa, illa veretur. (Virg. Ecl. 111. v. 4.) elle craint.

Dans presque toutes les langues vulgaires, les peuples soit à l’exemple des Grecs, soit plûtôt par une pareille disposition d’esprit, se sont fait de ces prépositifs qu’on appelle articles ; nous nous arrêterons principalement à l’article François.

Tout prépositif n’est pas appellé article. Ce, cet, cette, certain, quelque, tout, chaque, nul, aucun, mon, ma, mes, &c. ne sont que des adjectifs métaphysiques ; ils précedent toûjours leurs substantifs ; & puisqu’ils ne servent qu’à leur donner une qualification métaphysique, je ne sai pourquoi on les met dans la classe des pronoms. Quoi qu’il en soit, on ne donne pas le nom d’article à ces adjectifs ; ce sont spécialement ces trois mots, le, la, les, que nos Grammairiens nomment articles, peut-être parce que ces mots sont d’un usage plus fréquent : avant que d’en parler plus en détail, observons que

1°. Nous nous servons de le devant les noms masculins au singulier, le roi, le jour. 2°. Nous employons la devant les noms féminins au singulier, la reine, la nuit. 3°. La lettre s, qui, selon l’analogie de la langue, marque le pluriel quand elle est ajoûtée au singulier, a formé les du singulier le ; les sert également pour les deux genres, les rois, les reines ; les jours, les nuits. 4°. Le, la, les sont les trois articles simples : mais ils entrent aussi en composition avec la préposition à, & avec la préposition de, & alors ils forment les quatres articles composés, au, aux, lu, des.

Au est composé de la préposition à, & de l’article le, ensorte que au est autant que à le. Nos peres disoient al, al tems Innocent III. c’est-à-dire, au tems d’Innocent III. L’apostoile manda al prodome, &c. le Pape envoya au prud’homme : Ville-Hardouin, lib. I. pag. 1. mainte lerme i fu plorée de puié al départir, ib. id. pag. 16. Vigenere traduit maintes larmes furent plorées à leur partement, & au prendre congé. C’est le son obscur de l’e muet de l’article simple le, & le changement assez commun en notre langue de l en u, comme mal, maux ; cheval, chevaux : altus, haut ; alnus, aulne (arbre) alna, aune (mesure) alter, autre, qui ont fait dire au au lieu de à le, ou de al. Ce n’est que quand les noms masculins commencent par une consonne ou une voyelle aspirée, que l’on se sert de au au lieu de à le ; car si le nom masculin commence par une voyelle, alors on ne fait point de contraction, la préposition à & l’article le demeurent chacun dans leur entier : ainsi quoiqu’on dise le cœur, au cœur, on dit l’esprit, à l’esprit, le pere, au pere ; & on dit l’enfant, à l’enfant ; on dit le plomb, au plomb ; & on dit l’or, à l’or, l’argent, à l’argent ; car quand le substantif commence par une voyelle, l’e muet de le s’élide avec cette voyelle, ainsi la raison qui a donné lieu à la contraction au, ne subsiste plus ; & d’ailleurs, il se feroit un bâillement desagréable si l’on disoit au esprit, au argent, au enfant, &c. Si le nom est féminin, n’y ayant point d’e muet dans l’article la, on ne peut plus en faire au, ainsi l’on conserve alors la préposition & l’article, la raison, à la raison ; la vertu, à la vertu. 2°. Aux sert au pluriel pour les deux genres ; c’est une contraction pour à les, aux hommes, aux femmes, aux rois, aux reines, pour à les hommes, à les femmes, &c. 3°. Du est encore une contraction pour de le ; c’est le son obscur des deux e muets de suite de le, qui a amené la contraction du : autrefois on disoit del : la fins del conseil si fu tels, &c. l’arrêté du conseil fût, &c. Ville-Hardouin, lib. VII. p. 107. Gervaise del Chas-

tel, id. ib. Gervais du Castel, Vigenere. On dit donc

du bien & du mal, pour de le bien, de le mal, & ainsi de tous les noms masculins qui commencent par une consonne ; car si le nom commence par une voyelle, ou qu’il soit du genre féminin, alors on revient à la simplicité de la préposition, & à celle de l’article qui convient au genre du nom ; ainsi on dit de l’esprit, de la vertu, de la peine ; par-là on évite le bâillement : c’est la même raison que l’on a marquée sur au. 4°. Enfin des sert pour les deux genres au pluriel, & se dit pour de les, des rois, des reines.

Nos enfans, qui commencent à parler, s’énoncent d’abord sans contraction ; ils disent de le pain, de le vin ; tel est encore l’usage dans presque toutes nos provinces limitrophes, sur-tout parmi le peuple : c’est peut-être ce qui a donné lieu aux premieres observations que nos Grammairiens ont faites de ces contractions.

Les Italiens ont un plus grand nombre de prépositions qui se contractent avec leurs articles.

Mais les Anglois, qui ont comme nous des prépositions & des articles, ne font pas ces contractions ; ainsi ils disent of the, de le, où nous disons du ; the king, le roi ; of the king, de le roi, & en François du roi ; of the queen, de la reine ; to the king, à le roi, au roi ; to the queen, à la reine. Cette remarque n’est pas de simple curiosité ; il est important, pour rendre raison de la construction, de séparer la préposition de l’article, quand ils sont l’un & l’autre en composition, par exemple, si je veux rendre raison de cette façon de parler, du pain suffit : je commence par dire de le pain, alors la préposition de, qui est ici une préposition extractive, & qui comme toutes les autres prépositions doit être entre deux termes, cette préposition, dis-je, me fait connoître qu’il y a ici une ellipse.

Phédre, dans la fable de la vipere & de la lime, pour dire que cette vipere cherchoit dequoi manger dit : hæc quùm tentaret si qua res esset cibi, l. IV. sab. vij. vers 4. où vous voyez que aliqua res cibi fait connoître par analogie que du pain, c’est aliqua res panis, paululum panis ; quelque chose, une partie, une portion du pain ; c’est ainsi que les Anglois, pour dire donnez-moi du pain, disent give me some bread, donnez-moi quelque pain ; & pour dire j’ai vû des hommes, ils disent I have seen some men ; mot à mot, j’ai vû quelques hommes ; à des Médecins, to some physicians, à quelques Médecins.

L’usage de sous-entendre ainsi quelque nom générique devant de, du, des, qui commencent une phrase, n’étoit pas inconnu aux Latins : Lentulus écrit à Cicéron de s’intéresser à sa gloire ; de faire valoir dans le sénat, & ailleurs, tout ce qui pourroit lui faire honneur : de nostra dignitate velim tibi ut semper curæ sit. Cicéron, épit. Livre XII. épît. xjv. Il est évident que de nostra dignitate ne peut être le nominatif de curæ sit ; cependant ce verbe sit, étant à un mode fini, doit avoir un nominatif ; ainsi Lentulus avoit dans l’esprit ratio ou sermo de nostra dignitate, l’intérêt de ma gloire ; & quand même on ne trouveroit pas en ces occasions de mot convenable à suppléer, l’esprit n’en seroit pas moins occupé d’une idée que les mots énoncés dans la phrase réveillent, mais qu’ils n’expriment point : telle est l’analogie, tel est l’ordre de l’analyse de l’énonciation. Ainsi nos Grammairiens manquent d’exactitude, quand ils disent que la préposition dont nous parlons, sert à marquer le nominatif lorsqu’on ne veut que désigner une partie de la chose, Grammaire de Regnier, pag. 170 ; Restaut, pag. 75 & 418. ils ne prennent pas garde que les prépositions ne sauroient entrer dans le discours sans marquer un rapport ou relation entre deux termes, entre un mot & un mot : par exemple, la préposition pour marque un motif, une fin, une raison :