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coup plus grand que les autres, cet illustre général prétend qu’il faut leur donner un rang de plus, & en donner un de moins à ceux qui auront trop peu de front. De cette façon on pourroit regarder les bataillons & les escadrons, comme occupant toûjours le même front, & faire le calcul du terrein que toute l’armée doit occuper avec une très grande facilité.

« Pour donner une idée du calcul qu’on vient d’indiquer, c’est-à-dire de celui qui est utile pour trouver l’espace nécessaire pour le front d’une armée, soit une armée de 48 bataillons & 80 escadrons, & soit supposé aussi que suivant l’usage ordinaire les intervalles sont égaux au front de chaque troupe, & qu’on veut disposer ou placer l’armée sur deux lignes. On aura 24 bataillons & 40 escadrons pour chaque ligne. On suppose que les bataillons sont de 650 hommes à 4 de hauteur, & les escadrons de 150 à 3 de hauteur ; ce qui donne, en comptant 2 piés pour chaque soldat dans le rang, & 3 piés pour le cavalier, 54 toises pour le front du bataillon, & 25 pour celui de l’escadron. Multipliant donc 24 par 54, on aura 1296 toises pour le front de 24 bataillons, cy, 1296

On aura la même étendue pour les intervalles, ci, 1296

Pour le front des escadrons, on multipliera 40 par 25 : ce qui donnera 1000 toises pour le front, ci, 1000

Il faut observer les mêmes espaces pour les intervalles », ci, 1000

Total du front de chaque ligne, 4592.

« A l’égard de la profondeur du terrein occupé par l’armée, elle ne contient que celle de deux bataillons ou de deux escadrons, avec la distance de deux lignes, qu’on peut régler de 150 toises ; ainsi cette profondeur n’auroit guere que 160 toises. On n’a point parlé des réserves dans ce calcul, parce qu’elles n’ont point de poste fixe & déterminé.

Il est difficile de ne pas convenir qu’une étendue de 4592 toises, ou de deux lieues communes de France, telle qu’est celle du front de l’armée qu’on vient de supposer, est exorbitante par rapport à la profondeur de cette même armée. Aussi d’habiles généraux pensent-ils qu’il seroit à propos de diminuer ce front en retranchant quelque chose de la grandeur des intervalles.

« M. le maréchal de Puysegur est non-seulement de l’avis de ceux qui croyent que les grands intervalles sont préjudiciables & qu’il faut les diminuer : mais il pense encore qu’il seroit à-propos de faire combattre les troupes à lignes pleines, c’est-à-dire sans intervalle.

« Il suppose, pour en démontrer l’avantage, 20 bataillons de 120 hommes de front sur six de hauteur, rangés à côté les uns des autres sans aucun intervalle, & que chaque bataillon occupe un espace de 40 toises de front : il suppose aussi 10 bataillons de pareille force, qui leur soient opposés & rangés à l’ordinaire avec des intervalles égaux à leur front : cela posé, il paroît évident que les 20 bataillons battront sans difficulté les 10 opposés, & même 15 qui occuperoient un pareil front ; car lorsque deux troupes combattent l’une contre l’autre, l’avantage doit être du côté de celle qui a le plus de combattans qui agissent ensemble dans le même lieu. Il est arrivé cependant quelquefois que des lignes pleines ont été battues par des lignes tant pleines que vuides : mais l’évenement en doit être attribué aux troupes de la ligne pleine, qui n’ont pas su entrer dans les intervalles de l’autre ligne, & attaquer le flanc des bataillons de cette ligne.

« M. de Puysegur examine encore, si une armée

rangée sur une seule ligne pleine sera placée plus avantageusement qu’une autre armée de pareil nombre de bataillons & d’escadrons rangée sur deux lignes tant pleines que vuides. Il est clair qu’alors les deux armées occuperont le même front : mais il ne l’est pas moins que si des deux troupes qui ont à combattre, l’une joint tout son monde & l’autre le sépare, celle qui attaque avec tout le sien a incontestablement un avantage considérable sur la partie qu’elle attaque, & qu’elle doit battre en détail toutes celles de la troupe dont le monde est séparé.

« S’il est difficile de ne pas penser là-dessus comme l’illustre Maréchal qui fait cette observation, on peut lui objecter, & il ne se le dissimule pas, que si la premiere ligne est rompue, la seconde vient à son secours pour en rétablir le desordre, & que la premiere peut alors se rallier derriere la seconde ; au lieu qu’en combattant à ligne pleine, si l’effort de cette ligne ne réussit pas, l’armée se trouve obligée de plier sans pouvoir se reformer derriere aucun autre corps qui la couvre & qui la protege. A cela M. le maréchal de Puysegur, d’accord avec le savant marquis de Sancta-Crux, prétend que tout le succès d’une bataille dépend de l’attaque de la premiere ligne, & que si elle est rompue, la seconde ne peut guere rétablir le combat avec avantage. Ajoûtez à cela, que cette seconde ligne s’avançant avec la même foiblesse dans son ordre de bataille que la premiere, elle sera battue avec la même facilité par la ligne pleine, qui a presque le même avantage sur cette ligne que sur la premiere ; on dit presque, parce qu’il n’est pas possible à la ligne pleine, de battre celle qui lui est opposée, sans déranger un peu son ordre, & que la seconde ligne arrivant dans ce moment, est en état d’attaquer la ligne pleine avec plus d’avantage que la premiere ne le pourroit faire. Il faut voir plus en détail dans l’ouvrage de M. le maréchai de Puysegur, tous les raisonnemens par lesquels il démontre en quelque façon ce qu’il dit à l’avantage des lignes pleines. Ce détail n’est point de la nature de ce traité, & nous n’en avons dit un mot, que pour exciter les militaires à ne pas négliger l’étude d’un livre aussi utile pour l’intelligence de leur métier, & dont ils peuvent tirer les plus grands avantages, pour en posséder parfaitement les principes.

« Des divisions de l’armée, appellées brigades. S’il n’y avoit point de division dans l’armée que celle des bataillons & des escadrons, c’est-à-dire si elle étoit seulement partagée en plusieurs parties par ces différentes troupes, ou bien en partie du centre & en ailes, on pourroit dire que la premiere de ces divisions donneroit de trop petites parties, & la seconde de trop grandes. Mais comme on a vû par la formation des troupes en particulier, qu’il ne convient pas de les composer, ni d’un trop petit nombre d’hommes, ni d’un trop grand ; il s’ensuit que les divisions de l’armée doivent être proportionnées de même d’un nombre de bataillons ou d’escadrons assez considérable pour produire de grands effets dans le combat, mais trop petit pour donner de l’embarras dans le mouvement de l’armée. Ce qu’on appelle division dans l’armée n’étant autre chose que l’union ou la liaison de plusieurs corps de troupes destinés à agir ensemble ; l’union de plusieurs bataillons ou escadrons peut donc être considérée comme une division de l’armée.

Chaque régiment peut aussi être considéré comme une division : mais comme les régimens sont très-différens en France les uns des autres par le nombre d’hommes dont ils sont composés, la division de l’ordre de bataille par régimens ne con-