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le porter ; on y attachoit une courroie. Outre le bouclier, ils avoient des javelots qu’ils nommoient pila ; c’étoit l’arme propre des Romains : les uns étoient ronds & d’une grosseur à emplir la main ; les autres étoient quarrés, ayant quatre doigts de tour, & le bois quatre coudées de longueur. Au bout de ce bois étoit un fer à crochet qui faisoit qu’on ne retiroit ce bois que très-difficilement : ce fer avoit à peu près la même longueur que le bois. Il étoit attaché de maniere que la moitié tenoit au bois, & que l’autre servoit de pointe ; ensorte que ce javelot avoit en tout cinq coudées & demi de longueur ; l’épaisseur du fer qui étoit attaché au bois, étoit d’un doigt & demi : ce qui prouve qu’il devoit être fort pesant, & devoit percer tout ce qu’il atteignoit. On se servoit encore d’autres traits plus légers qui ressembloient à peu près à des pieux.

Ils portoient aussi un casque d’airain ou d’un autre métal, qui laissoit le visage découvert ; d’où vient le mot de César à la bataille de Pharsale : Soldats, frappez au visage. On voyoit flotter sur ce casque une aigrette de plumes rouges & blanches, ou de crin de cheval. Les citoyens de la premiere classe étoient couverts d’une cuirasse qui étoit faite de petites mailles ou chaînons, & qu’on appelloit samata : on en faisoit aussi d’écailles ou de lames de fer : celles-ci étoient pour les citoyens les plus distingués ; elles pouvoient couvrir tout le corps. Héliodore, Æthiop. liv. IX. en fait, vers le milieu de son ouvrage, une description fort exacte. Cependant la plûpart portoient des cuirasses de lames d’airain de 12 doigts de largeur, qui couvroient seulement la poitrine.

Le bouclier, le casque & la cuirasse étoient enrichis d’or & d’argent, avec différentes figures qu’on gravoit dessus ; c’est pourquoi on les portoit toûjours couvertes, excepté dans le combat & dans différentes cérémonies. Les Romains portoient aussi des bottines, mais quelquefois une seule à une des deux jambes. Les soldats surtout portoient de petites bottines garnies de clous tout autour, qu’on appelloit caligœ, d’où est venu le mot de Caligula, que l’on donna à l’empereur Caïus, parce qu’il avoit été élevé parmi les simples soldats dans le camp de Germanicus son pere.

Dans les premiers tems les cavaliers, chez les Romains, n’avoient qu’une espece de veste, afin de monter plus facilement à cheval. Ils n’avoient ni étriers ni selle, mais seulement une couverture qui leur en servoit. Ils avoient aussi des piques très-légeres, & un bouclier de cuir : mais dans la suite ils emprunterent leurs armes des Grecs, qui consistoient en une grande épée, une pique longue, une cuirasse, un casque, & un bouclier. Ils portoient aussi quelquefois des javelots. Nieupoort, coûtumes des Romains.

Les armes des François, lorsque Clovis fit la conquête des Gaules, étoient la hache, le javelot, le bouclier, & l’épée. Procope, secrétaire du fameux Belisaire, parlant de l’expédition que les François firent en Italie sous Théodoric I. roi de la France Austrasienne, dit que ce roi, parmi les cent mille hommes qu’il conduisoit en Italie, avoit fort peu de cavaliers, qui étoient tous autour de sa personne. Ces cavaliers seuls portoient des javelots, qui soli hastas ferebant ; tout le reste étoit infanterie. Ces piétons n’avoient ni arc ni javelot ; non arcu, non hastâ armati ; toutes leurs armes étoient une épée, une hache, & un bouclier. Le fer de la hache étoit à deux tranchans ; le manche étoit de bois, & fort court. Au moment qu’ils entendoient le signal, ils s’avançoient, & au premier assaut, dés qu’ils étoient à portée, ils lançoient leur hache contre le bouclier de l’ennemi, le cassoient, & puis sautant l’épée à la main sur leur ennemi, le tuoient.

Les casques & les cuirasses n’étoient guere en usage parmi les François du tems de nos premiers rois : mais cet usage fut introduit peu à peu. Ces cuirasses, dans les premiers tems, étoient de cottes de mailles, qui couvroient le corps depuis la gorge jusqu’aux cuisses ; on y ajoûta depuis des manches & des chaussures de même. Comme une partie de l’adresse des combattans, soit dans les batailles, soit dans les combats particuliers, étoit de trouver le défaut de la cuirasse, c’est-à-dire, les endroits où elle se joignoit aux autres pieces de l’armure, afin de percer par-là l’ennemi ; nos anciens chevaliers s’appliquoient à remédier à cet inconvénient.

Guillaume le Breton, & Rigord, tous deux historiens de Philippe Auguste, remarquent que ce fut de leur tems, ou un peu auparavant, que les chevaliers réussirent à se rendre presqu’invulnérables, par l’expédient qu’ils imaginerent de joindre tellement toutes les pieces de leur armure, que ni la lance, ni l’épée, ni le poignard, ne pussent guere pénétrer jusqu’à leurs corps ; & de les rendre si fortes, qu’elles ne pussent être percées. Voici ce que dit Rigord là-dessus. « Le chevalier Pierre de Mauvoisin, à la bataille de Bovines, saisit par la bride le cheval de l’empereur Othon, & ne pouvant le tirer du milieu de ses gens qui l’entraînoient, un autre chevalier porta à ce prince un coup de poignard dans la poitrine : mais il ne put le blesser, tant les chevaliers de notre tems, dit-il, sont impénétrablement couverts ». Et en parlant de la prise de Renaud de Dammartin, comte de Bologne, qui étoit dans la même bataille du parti d’Othon : « Ce comte, dit-il ; étant abattu & pris sous son cheval . . . . un fort garçon, appellé Commote, lui ôta son casque, & le blessa au visage . . . . Il voulut lui enfoncer le poignard dans le ventre : mais les bottes du comte étoient tellement attachées & unies aux pans de la cuirasse, qu’il lui fut impossible de trouver un endroit pour le percer ». Guillaume le Breton décrivant la même bataille, dit la même chose encore plus expressément, & qui marque distinctement que cette maniere de s’armer avec tant de précaution étoit nouvelle ; que c’étoit pour cela que dans les batailles on songeoit à tuer les chevaux, pour renverser les cavaliers, & ensuite les assommer ou les prendre, parce qu’on ne pouvoit venir à bout de percer leurs armures.

. . . . . Equorum viscera rumpunt,
Demissis gladiis dominorum corpora quando
Non patitur ferro contingi ferrea vestis,
Labuntur vecti, lapsis rectoribus ; & sic,
Vincibiles magis existunt in pulvere strati :
Sed nec tunc acies valet illos tangere ferro,
Ni prius armorum careat munimine corpus.
Tot ferri sua membra plicis, tot quisque patenis
Pectora, tot coriis, tot gambusonibus armant.
Sic magis attenti sunt se munire moderni,
Quam fuerint olim veteres. . . . . . .

Et il fait la réflexion que c’étoit pour cela que dans le tems passé, où l’on ne prenoit pas tant de précaution, il périssoit tant de gens dans les batailles.

. . . . . . ubi millia mille
Unâ sæpe die legimus cecidisse virorum :
Nam mala dum crescunt, crescit cautela malorum ;
Munimenque novum contra nova tela repertum est.

De sorte que dans le tems dont il parle, pourvû que le cheval ne fût point renversé, que le cavalier se tînt bien ferme sur les étriers, lorsque l’ennemi venoit fondre sur lui avec sa lance, il étoit invulnérable, excepté par la visiere du casque. Il falloit être bien adroit pour y donner ; & c’étoit à acquérir cette adresse que servoient divers exercices en usage, comme les tournois, & autres divertissemens mili-