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dire que les résultats en sont favorables à la nation Angloise. C’est le plus important de tous les essais du chevalier Petty ; cependant il est très-court, si on le compare à la multitude & à la complication des objets. Le chevalier Petty prétend avoir démontré dans environ une centaine de petites pages in-douze, gros caractere : 1°. Qu’une petite contrée avec un petit nombre d’habitans peut équivaloir par sa situation, son commerce & sa police, à un grand pays & à un peuple nombreux, soit qu’on les compare par la force, ou par la richesse ; & qu’il n’y a rien qui tende plus efficacement à établir cette égalité que la marine & le commerce maritime. 2°. Que toutes sortes d’impôts & de taxes publiques tendent plûtôt à augmenter qu’à affoiblir la société & le bien public. 3°. Qu’il y a des empêchemens naturels & durables à jamais, à ce que la France devienne plus puissante sur mer que l’Angleterre ou la Hollande : nos François ne porteront pas un jugement favorable des calculs du chevalier Petty sur cette proposition, & je crois qu’ils auront raison. 4°. Que par son fonds & son produit naturels, le peuple & le territoire de l’Angleterre sont à peu près égaux en richesse & en force au peuple & au territoire de France. 5°. Que les obstacles qui s’opposent à la grandeur de l’Angleterre ne sont que contingens & amovibles. 6°. Que depuis quarante ans, la puissance & la richesse de l’Angleterre se sont fort accrues. 7°. Que la dixieme partie de toute la dépense des sujets du Roy suffiroit pour entretenir cent mille hommes d’infanterie, trente mille hommes de cavalerie, quarante mille hommes de mer ; & pour acquitter toutes les autres charges de l’état, ordinaires & extraordinaires, dans la seule supposition que cette dixieme partie seroit bien imposée, bien perçûe, & bien employée. 8°. Qu’il y a plus de sujets sans emploi, qu’il n’en faudroit pour procurer à la nation deux millions par an, s’ils étoient convenablement occupés ; & que ces occupations sont toutes prêtes, & n’attendent que des ouvriers. 9°. Que la nation a assez d’argent pour faire aller son commerce. 10°. Enfin que la nation a tout autant de ressources qu’il lui en faut pour embrasser tout le commerce de l’univers, de quelque nature qu’il soit.

Voilà comme on voit des prétensions bien excessives : mais quelles qu’elles soient, le lecteur sera bien d’examiner dans l’ouvrage du chevalier Petty, les raisonnemens & les expériences sur lesquels il s’appuie : dans cet examen, il ne faudra pas oublier qu’il arrive des révolutions, soit en bien, soit en mal, qui changent en un moment la face des états, & qui modifient & même anéantissent les suppositions ; & que les calculs & leurs résultats ne sont pas moins variables que les évenemens. L’ouvrage du chevalier Petty fut composé avant 1699. Selon cet auteur, quoique la Hollande & la Zéelande ne contiennent pas plus de 1000000 d’arpens de terre, & que la France en contienne au moins 8000000, cependant ce premier pays a presque un tiers de la richesse & de la force de ce dernier. Les rentes des terres en Hollande sont à proportion de celles de France, comme de 7 ou 8 à 1. (Observez qu’il est question ici de l’état de l’Europe en 1699 ; & c’est à cette année que se rapportent tous les calculs du chevalier Petty, bons ou mauvais). Les habitans d’Amsterdam sont de ceux de Paris ou de Londres ; & la différence entre ces deux dernieres villes n’est, selon le même auteur, que d’environ une vingtieme partie. Le port de tous les vaisseaux appartenans à l’Europe, se monte à environ deux millions de tonneaux, dont les Anglois ont 500000, les Hollandois 900000 ; les François 100000, les Hambourgois, Danois, Suédois, & les habitans de Dantzic 250000 ; l’Espagne, le Portugal, l’Italie, &c. à

peu près autant. La valeur des marchandises qui sortent annuellement de la France, pour l’usage de différens pays, se monte en tout à environ 5000000 livres sterlin ; c’est-à-dire, quatre fois autant qu’il en entroit dans l’Angleterre seule. Les marchandises qu’on fait sortir de la Hollande pour l’Angleterre valent 300000 livres sterlin ; & ce qui sort de-là pour être répandu par tout le reste du monde, vaut 18000000 livres sterlin. L’argent que le Roi de France leve annuellement en tems de paix fait environ 6 millions sterlin. Les sommes levées en Hollande & Zéelande font autour de 2100000 livres sterlin ; & celles provenantes de toutes les Provinces-unies font ensemble environ 3000000 livres sterlin. Les habitans d’Angleterre sont à peu près au nombre de 6000000 ; & leurs dépenses à raison de 7 livres sterlin par an, pour chacun d’eux, font 42000000 livres sterlin ou 80000 livres sterlin par semaine. La rente des terres en Angleterre est d’environ 8 millions sterlin ; & les intérêts & profits des biens propres à peu près autant. La rente des maisons en Angleterre 4000000 livres sterlin. Le profit du travail de tous les habitans se monte à 26000000 livres sterlin par an. Les habitans d’Irlande sont au nombre de 1200000. Le blé consommé annuellement en Angleterre, comptant le froment à 5 schelins le boisseau, & l’orge à 2 schelins, se monte à dix millions sterlin. La marine d’Angleterre avoit besoin en 1699, c’est-à-dire du tems du chevalier Petty, ou à la fin du dernier siecle, de 36000 hommes pour les vaisseaux de guerre : & 48000 pour les vaisseaux marchands & autres : & il ne falloit pour toute la marine de la France que 15000 hommes. Il y a en France environ treize millions & demi d’ames ; & en Angleterre, Ecosse & Irlande, environ neuf millions & demi. Dans les trois royaumes d’Angleterre, d’Ecosse & d’Irlande, il y a environ 20000 ecclésiastiques ; & en France, il y en a plus de 270000. Le royaume d’Angleterre à plus de 40000 matelots, & la France n’en a pas plus de 10000. Il y avoit pour lors en Angleterre, en Ecosse, en Irlande, & dans les pays qui en dépendent, des vaisseaux dont le port se montoit environ à 60000 tonneaux, ce qui vaut à peu près quatre millions & demi de livres sterlin. La ligne marine autour de l’Angleterre, de l’Ecosse, de l’Irlande, & des iles adjacentes, est d’environ 3800 milles. Il y a dans le monde entier environ 300 millions d’ames, dont il n’y a qu’environ 80 millions, avec lesquelles les Anglois & les Hollandois soient en commerce. La valeur de tous les effets de commerce ne passe pas 45 millions sterlin. Les manufactures d’Angleterre qu’on fait sortir du royaume, se montent annuellement à environ 5 millions sterlin. Le plomb, le fer-blanc & le charbon, à 500000 livres sterlin par an. La valeur des marchandises de France qui entrent en Angleterre, ne passe pas 1200000 livres sterlin par an. Enfin il y a en Angleterre environ six millions sterlin d’especes monnoyées. Tous ces calculs, comme nous l’avons dit, sont relatifs à l’année 1699 ; & ont dû sans doute bien changer depuis.

M. Davenant autre auteur d’arithmétique politique, prouve qu’il ne faut pas compter absolument sur plusieurs des calculs du cher Petty : il en donne d’autres qu’il a faits lui-même, & qui se trouvent fondés sur les observations de M. King. En voici quelques-uns.

L’Angleterre contient, dit-il, 39 millions d’arpens de terre. Les habitans, selon son calcul, sont à peu près au nombre de 5545000 ames, & ce nombre augmente tous les ans d’environ 9000, déduction faite de ceux qui peuvent périr par les pestes, les maladies, les guerres, la marine, &c. & de ceux qui vont dans les colonies. Il compte 530000 habitans dans la ville de Londres ; dans les autres villes & bourgs d’An-