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Suivant ce sentiment, il n’est pas incroyable qu’un homme né sous une telle constellation, puisse commander aux vents & à la mer, chasser les démons, & opérer en un mot toutes sortes de prodiges.

Nier que Dieu & les esprits soient cause de tous les maux physiques qui arrivent, c’est renverser l’ordre qui consiste dans la diversité.

Comme Dieu ni les corps célestes ne peuvent forcer la volonté à se porter vers un objet ; aussi ne peuvent-ils pas être la cause du mal moral.

Certaines dispositions des corps influent pourtant sur le mal moral : mais alors il cesse d’être mal moral, & devient vice de nature.

Les Astrologues disent toûjours des choses conformes à la raison & au bon sens : l’homme par la force de ce qu’il renferme, peut être changé en loup, en pourceau, prendre en un mot toutes sortes de formes.

Tout ce qui commence doit avoir une fin ; il n’est donc pas surprenant que les oracles ayent cessé.

L’ancienne loi, selon l’ordre, demandoit des oracles : la nouvelle n’en veut point, parce que c’est un autre arrangement ; il falloit faire contracter d’autres habitudes.

Comme il est fort difficile de quitter une ancienne habitude pour en prendre une nouvelle, il s’ensuit que les miracles étoient nécessaires pour faire adopter la nouvelle loi, & abandonner l’ancienne.

Lorsque l’ordre des cieux commencera à changer, tout changera ici bas : nous voyons que les miracles furent d’abord foibles, & la religion aussi ; les miracles devinrent plus surprenans, la religion s’accrut ; les miracles ont cessé, la religion diminue : tel est l’ordre des cieux ; il varie & il variera si fort, que cette religion cessera de convenir aux hommes.

Moyse a fait des miracles, les payens aussi, avec eux Mahomet & Jesus-Christ. Cela est nécessaire, parce qu’il ne sauroit y avoir de changement considérable dans le monde, sans le secours des miracles.

La nature du miracle ne consiste pas en ce qu’il est hors de la sphere des choses ordinaires, mais en ce que c’est un effet rare, dont on ne connoît pas la cause, quoiqu’elle se trouve réellement dans la nature.

Voilà l’impiété de Pomponace dans son entier, il croit l’adoucir, en disant que Jesus-Christ doit être préferé à Aristote & à Platon. « Et quoique, dit-il, tous les miracles qui sont arrivés puissent s’expliquer naturellement, il faut pourtant croire qu’ils ont été faits surnaturellement en faveur de la religion, parce que l’Eglise veut qu’on le croye ». Il avoit pour maxime de parler comme le vulgaire, & de penser comme un philosophe ; c’est-à-dire, qu’il étoit chrétien de bouche, & impie dans le cœur. « Je parle, dit-il, en un endroit pour des philosophes qui sont les seuls hommes qui soient sur la terre ; car pour les autres, je les regarde comme de simples figures propres à remplir les vuides qui se trouvent dans l’univers ». Qu’est-il besoin de réfuter ce qu’on vient de lire ? ne suffit-il point de l’avoir mis sous les yeux ? Pomponace eut plusieurs disciples, parmi lesquels se trouve Hercule de Gonzague, qui fut cardinal dans la suite, & qui eut tant d’estime pour son maître, qu’il le fit inhumer dans le tombeau de ses ancêtres. Il paroît par une lettre de Jules Scaliger, qu’il a été disciple de Pomponace.

Augustin Niphus fut l’adversaire le plus redoutable de Pomponace : ce fut un des plus célebres Péripatéticiens de son siecle. Il naquit dans la Calabre, quoique plusieurs l’ayent cru Suisse. Il est vrai que Niphus lui-même donne occasion à cette erreur ; car il se disoit Suisse, parce qu’il avoit vécu long-tems dans ce pays-là, & qu’il s’y étoit marié. Son pere

se remaria après avoir perdu la mere de Niphus : sa marâtre étoit cruelle & injuste ; elle poussa sa haine si loin, que Niphus, quoique fort jeune, fut obligé d’abandonner la maison de son pere. Il s’enfuit à Naples, où il eut le bonheur de rencontrer un Suisse à qui il plut : il le regarda comme un de ses enfans, & lui donna la même éducation. On l’envoya faire ses études à Padoue ; il y étudia la Philosophie des Péripatéticiens, & s’adonna à la Medecine. Selon la coûtume de ce tems-là dans l’Italie, ceux qui n’embrassoient pas l’état ecclésiastique, joignoient l’étude de la Medecine à l’étude de la Philosophie : c’est pourquoi Niphus fut dans son siecle aussi bon Medecin que célebre Philosophe. Il avoit eu pour maître un Péripatéticien fort attaché aux opinions d’Averroès, sur-tout à celle de l’existence d’une seule ame : il avoit apporté tant d’argumens pour prouver ce sentiment, que le peuple & les petits philosophes l’adopterent avec lui ; de sorte que cette opinion se répandit dans toute l’Italie. Il avoit encore enchéri sur Averroès ; il soûtenoit entr’autres choses, qu’il n’y avoit d’autres substances immatérielles que celles qui faisoient mouvoir les spheres célestes. Niphus n’examina point dans la suite si ce que son maître lui avoit appris étoit bien fondé ; il ne chercha que les moyens les plus propres à bien défendre les opinions de ce maître. Il écrivit dans ce dessein son livre de l’entendement & des démons. Cet ouvrage fit beaucoup de bruit : les moines se récrierent hautement sur les erreurs qu’il contenoit : ils exciterent contre lui une si violente tempête, qu’il eut toutes les peines du monde à ne pas faire naufrage. Cela le rendit plus sage & plus prudent dans la suite. Il enseigna la Philosophie dans les plus célebres Académies de l’Italie, & où Achillinus & Pomponace étoient en grande réputation ; comme à Pise, Bologne, Salerne, Padoue, & enfin à Rome, dans le collége de la Sapience. Niphus nous assûre que la ville de Bologne & celle de Venise lui avoient offert mille écus d’or par an pour professer la Philosophie dans leur ville. La maison de Medicis le protégea beaucoup, & en particulier Léon X. qui le combla de biens & d’honneurs. Il lui ordonna de réfuter le livre de Pomponace sur l’immortalité de l’ame, & de lui prouver que l’immortalité de l’ame n’étoit pas contraire aux sentimens d’Aristote ; ce que Pomponace prétendoit. C’est ainsi que la barbarie du siecle rendoit mauvaises les meilleures causes. Par la façon ridicule de réfuter Pomponace, ce philosophe se trouvoit avoir raison : car il est certain qu’Aristote ne croyoit pas l’immortalité de l’ame. Si Niphus s’étoit attaché à prouver que l’ame étoit immortelle, il auroit fait voir que Pomponace avoit tort, avec Aristote, son maître & son guide. Niphus eut beaucoup d’adversaires, parce que Pomponace avoit beaucoup de disciples. Tous ces écrits contre lui n’empêcherent pas qu’il ne fût fort agréable à Charles V. & même aux femmes de sa cour ; car ce philosophe, quoiqu’assez laid, savoit pourtant si bien dépouiller la rudesse philosophique, & prendre les airs de la cour, qu’il étoit regardé comme un des hommes les plus aimables. Il contoit agréablement, & avoit une imagination qui le servoit bien dans la conversation. Sa voix étoit sonore ; il aimoit les femmes, & beaucoup plus qu’il ne convenoit à un philosophe : il poussa quelquefois les aventures si loin, qu’il s’en fit mépriser, & risqua quelque chose de plus. Bayle, comme on sent bien, s’étend beaucoup sur cet article ; il le suit dans toutes ses aventures, où nous croyons devoir le laisser. Nous ne saurions trop nous élever contre ses mœurs, & contre sa fureur de railler indistinctement tout le monde, sur quelque matiere que ce fût. Il y a beaucoup de traits obscenes dans ses ouvrages. Le public se vange ordinairement : il y a fort peu de