Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/7

Cette page a été validée par deux contributeurs.
DISCOURS PRÉLIMINAIRE


DES ÉDITEURS



L’Encyclopédie que nous présentons au Public, est, comme son titre l’annonce, l’Ouvrage d’une société de Gens de Lettres. Nous croirions pouvoir assûrer, si nous n’étions pas du nombre, qu’ils sont tous avantageusement connus, ou dignes de l’être. Mais sans vouloir prévenir un jugement qu’il n’appartient qu’aux Savans de porter, il est au moins de notre devoir d’écarter avant toutes choses l’objection la plus capable de nuire au succès d’une si grande entreprise. Nous déclarons donc que nous n’avons point eu la témérité de nous charger seuls d’un poids si supérieur à nos forces, & que notre fonction d’Editeurs consiste principalement à mettre en ordre des matériaux dont la partie la plus considérable nous a été entierement fournie. Nous avions fait expressément la même déclaration dans le corps du Prospectus[1] ; mais elle auroit peut-être dû se trouver à la tête. Par cette précaution, nous eussions apparemment répondu d’avance à une foule de gens du monde, & même à quelques gens de Lettres, qui nous ont demandé comment deux personnes pouvoient traiter de toutes les Sciences & de tous les Arts, & qui néanmoins avoient jetté sans doute les yeux sur le Prospectus, puisqu’ils ont bien voulu l’honorer de leurs éloges. Ainsi, le seul moyen d’empêcher sans retour leur objection de reparoître, c’est d’employer, comme nous faisons ici, les premieres lignes de notre Ouvrage à la détruire. Ce début est donc uniquement destiné à ceux de nos Lecteurs qui ne jugeront pas à propos d’aller plus loin : nous devons aux autres un détail beaucoup plus étendu sur l’exécution de l’Encyclopedie : ils le trouveront dans la suite de ce Discours, avec les noms de chacun de nos collegues ; mais ce détail si important par sa nature & par sa matiere, demande à être précédé de quelques réflexions philosophiques.

L’Ouvrage dont nous donnons aujourd’hui le premier volume, a deux objets : comme Encyclopédie, il doit exposer autant qu’il est possible, l’ordre & l’enchaînement des connoissances humaines : comme Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, il doit contenir sur chaque Science & sur chaque Art, soit libéral, soit méchanique, les principes généraux qui en sont la base, & les détails les plus essentiels, qui en font le corps & la substance. Ces deux points de vûe, d’Encyclopédie & de Dictionnaire raisonné, formeront donc le plan & la division de notre Discours préliminaire. Nous allons les envisager, les suivre l’un après l’autre, & rendre compte des moyens par lesquels on a tâché de satisfaire à ce double objet.

Pour peu qu’on ait réfléchi sur la liaison que les découvertes ont entr’elles, il est facile de s’appercevoir que les Sciences & les Arts se prêtent mutuellement des secours, & qu’il y a par conséquent une chaîne qui les unit. Mais s’il est souvent difficile de réduire à un petit nombre de regles ou de notions générales, chaque Science ou chaque Art en particulier, il ne l’est pas moins de renfermer en un système qui soit un, les branches infiniment variées de la science humaine.

Le premier pas que nous ayons à faire dans cette recherche, est d’examiner, qu’on nous permette ce terme, la généalogie & la filiation de nos connoissances, les causes qui ont dû les faire naître, & les caracteres qui les distinguent ; en un mot, de remonter jusqu’à l’origine & à la génération de nos idées. Indépendamment des secours que nous tirerons de cet examen pour l’énumération encyclopédique des Sciences & des Arts, il ne sauroit être déplacé à la tête d’un ouvrage tel que celui-ci.

On peut diviser toutes nos connoissances en directes & en réfléchies. Les directes sont celles que nous recevons immédiatement sans aucune opération de notre volonté ; qui trouvant ouvertes, si on peut parler ainsi, toutes les portes de notre ame, y entrent sans

  1. Ce Prospectus a été publié au mois de Novembre 1750.