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cette mesure, si ce n’est dans les édifices sacrés, comme le temple & le tabernacle. Cette difficulté a été mieux résolue par Buteo & par Kircher, qui en supposant la coudée de la longueur d’un pié & demi, prouvent géométriquement que l’arche étoit très-suffisante pour contenir tous les animaux. On est encore moins gêné à cet égard dans le système de ceux qui, comme Messieurs le Pelletier, Graves, Cumberland & Newton, donnent à l’ancienne coudée Hébraïque la même longueur qu’a l’ancienne coudée de Memphis, c’est-à-dire, vingt pouces & demi environ mesure de Paris. Les dimensions de l’arche, prises suivant cette mesure, donnent une capacité suffisante pour loger commodément non-seulement les hommes & les animaux, mais aussi les provisions nécessaires, & l’eau douce pour les entretenir pendant un an & plus, comme on le verra ci-dessous par l’exposition des systèmes de M. le Pelletier, & du P. Buteo.

Snellius a prétendu que l’arche avoit plus d’un arpent & demi : Cuneus, Budée & d’autres ont aussi calculé la capacité de l’arche. Le docteur Arbuthnot compte qu’elle avoit quarante fois 81062 piés cubiques. Le P. Lami dit qu’elle étoit de cent dix piés plus longue que l’église de S. Merry à Paris, & de soixante-quatre piés plus étroite ; à quoi son traducteur Anglois ajoûte qu’elle étoit plus longue que l’église de S. Paul à Londres ne l’est de l’est à l’ouest, & qu’elle avoit soixante-quatre piés de haut selon la mesure Angloise.

4°. L’arche contenoit, outre les huit personnes qui composoient la famille de Noé, une paire de chaque espece d’animaux impurs, & sept d’animaux purs avec leur provision d’alimens pour un an. Ce qui du premier coup d’œil paroît impossible : mais si l’on descend au calcul, on trouve que le nombre des animaux n’est pas si grand qu’on se l’étoit d’abord imaginé. Nous ne connoissons gueres qu’environ cent, ou tout au plus cent trente especes de quadrupedes, environ autant des oiseaux, & quarante especes de ceux qui vivent dans l’eau. Les Zoologistes comptent ordinairement cent soixante & dix especes d’oiseaux en tout. Wilkins évêque de Chester, prétend qu’il n’y avoit que soixante & douze especes de quadrupedes qui fussent nécessairement dans l’arche.

5°. Selon la description que Moyse fait de l’arche, il semble qu’elle étoit divisée en trois étages qui avoient chacun dix coudées ou quinze piés de hauteur. On ajoûte que l’étage le plus bas étoit occupé par les quadrupedes & les reptiles, que celui du milieu renfermoit les provisions, & que celui d’en-haut contenoit les oiseaux avec Noé & sa famille ; enfin que chaque étage étoit subdivisé en plusieurs loges. Mais Joseph, Philon, & d’autres commentateurs imaginent encore une espece de quatrieme étage qui étoit sous les autres, & qu’ils regardent comme le fond-de-cale du vaisseau, lequel contenoit le lest & les excrémens des animaux. Drexelius croit que l’arche contenoit trois cens loges ou appartemens ; le P. Fournier en compte trois cens trente-trois ; l’auteur anonyme des questions sur la Genese, en met jusqu’à quatre cens. Budée, Temporarius, Arias Montanus, Wilkins, le P. Lami, & quelques autres, supposent autant de loges qu’il y avoit d’especes d’animaux. M. le Pelletier & le P. Buteo en mettent beaucoup moins, comme on le verra : la raison qu’ils en apportent est que si l’on suppose un grand nombre de loges comme trois cens trente-trois ou quatre cens, chacune des huit personnes qui étoient dans l’arche, auroient eu 37 ou 41 ou 50 loges à pourvoir & à nettoyer par jour, ce qui est impossible. Peut-être y a-t-il autant de difficulté à diminuer le nombre des loges, à moins qu’on ne diminue le nombre des ani-

maux ; car il seroit peut-être plus difficile de prendre

soin de 300 animaux en 72 loges, que s’ils occupoient chacun la leur. Budée a calculé que tous les animaux qui étoient contenus dans l’arche, ne devoient pas tenir plus de place que cinq cens chevaux, ce qu’il réduit à la dimension de cinquante-six paires de bœufs. Le P. Lami augmente ce nombre jusqu’à soixante-quatre paires ou cent vingt-huit bœufs, de sorte qu’en supposant que deux chevaux tiennent autant de place qu’un bœuf, si l’arche a eu de l’espace pour 256 chevaux, elle a pu contenir tous les animaux ; & le même auteur démontre qu’un seul étage pouvoit contenir 500 chevaux, en comptant neuf piés quarrés pour un cheval.

Pour ce qui regarde les alimens contenus dans le second étage, Budée a observé que 30 ou 40 livres de foin suffisent ordinairement à un bœuf pour sa nourriture journaliere, & qu’une coudée solide de foin pressée comme elle l’est dans les greniers ou magasins, pese environ 40 livres. De sorte qu’une coudée quarrée de foin est plus que suffisante pour la nourriture journaliere d’un bœuf : or il paroît que le second étage avoit 150000 coudées solides. Si on les divise entre 206 bœufs, il y aura deux tiers de foin plus qu’ils n’en pourront manger dans un an.

L’évêque Wilkins calcule tous les animaux carnaciers équivalens tant par rapport à leur volume, que par rapport à leur nourriture, à 27 loups, & tous les autres à 208 bœufs. Pour l’équivalant de la nourriture des premiers, il met celle 1825 brebis, & pour celle des seconds 109500 coudées de foin : or les deux premiers étages étoient plus que suffisans pour contenir ces choses. Quant au troisieme étage, il n’y a point de difficulté ; tout le monde convient qu’il y avoit plus de place qu’il n’en falloit pour les oiseaux, pour Noé & pour sa famille.

Ensuite le savant évêque observe qu’il est infiniment plus difficile d’évaluer en nombre la capacité de l’arche, que de trouver une place suffisante pour les différentes especes d’animaux connus. Il attribue cette différence à l’imperfection de nos listes d’animaux, surtout des animaux des parties du monde que nous n’avons pas encore fréquentées : il ajoûte du reste que le plus habile Mathématicien de nos jours ne détermineroit pas mieux les dimensions d’un vaisseau, tel que celui dont il s’agit ici, qu’elles ne le sont dans l’Écriture, relativement à l’usage auquel il étoit destiné. D’où il conclut que l’arche dont on a prétendu faire une objection contre la vérité des Écritures divines, en devient une preuve ; puisqu’il est à présumer que dans ces premiers âges du monde, les hommes moins versés dans les sciences & dans les arts, devoient être infiniment plus sujets à des erreurs, que nous ne le serions aujourd’hui : que cependant si l’on avoit aujourd’hui à proportionner la capacité d’un vaisseau à la masse des animaux & de leur nourriture, on ne s’en acquiteroit pas mieux ; & que par conséquent l’arche ne peut être une invention humaine ; car l’esprit humain étant exposé en pareil cas à se grossir prodigieusement les objets, il seroit arrivé indubitablement dans les dimensions de l’arche de Noé, ce qui arrive dans l’estimation du nombre des étoiles par la seule vûe ; c’est que de même qu’on en juge le nombre infini, on eût poussé les dimensions de l’arche à des grandeurs demesurées, & qu’on eût ainsi engendré un bâtiment infiniment plus grand qu’il ne le falloit ; & péchant plus par son excès de capacité dans l’historien, que ceux qui attaquent l’histoire ne prétendent qu’il peche par défaut.

Mais pour donner au lecteur une idée plus juste des dimensions de l’arche, de sa capacité, de sa distribution intérieure, & autres proportions, nous allons lui faire part de l’extrait des systèmes de M. le Pelletier de Rouen & du P. Buteo, sur cette matiere,