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tion absolument renversée, les branches dans la terre & les racines en l’air ; ils ont repris dans cette étrange position, les branches ont produit des racines & les racines des feuilles. Il est vrai qu’ils ont d’abord poussé plus foiblement que ceux qui étoient plantés à l’ordinaire : mais enfin ils ont poussé ; & dans quelques-uns de ces sujets, la différence au bout de quelques années ne s’appercevoit plus.

Il en a fait arracher plusieurs, & il a vû que les racines portoient toutes des grosseurs qui se trouvoient à l’insertion des bourgeons ; il a jugé en conséquence que ces grosseurs analogues aux loupes des greffes & aux bourrelets causés par les ligatures, étoient indifférentes à produire des bourgeons ou des racines. Pour s’en assûrer il a fait élever à trois piés de haut une futaille qu’il a remplie de terre ; après en avoir percé le fond de plusieurs trous ; il a passé par ces trous des boutures, dont le bout entroit dans le terrein au-dessous de la futaille. Les unes étoient placées le gros bout en haut, & les autres au contraire. Toutes ont poussé des racines dans la partie qui entroit dans le terrein, des bourgeons & des feuilles entre le terrein & la futaille, des racines dans la futaille & des feuilles au-dessus.

Les germes qui existent dans les arbres sont donc également propres à produire des bourgeons ou des racines : le seul concours des circonstances les détermine à l’un ou à l’autre ; il n’en faut cependant rien conclurre contre les causes finales : ce n’est pas un seul phénomene qui peut ébranler un dogme conforme à la raison, à la saine Théologie, & confirmé par une multitude d’effets enchaînés les uns aux autres avec tant de sagesse.

M. Duhamel appuie l’expérience précédente par un grand nombre d’autres, & donne le manuel de l’opération nécessaire pour élever des boutures avec autant de sûreté & de facilité qu’il est possible. Voici l’extrait de ce manuel.

Le vrai tems pour couper les boutures est vers le commencement du mois de Mars. Miller veut qu’on attende l’automne pour les boutures d’arbres verds : & peut-être a-t-il raison. Il faut choisir une branche dont le bois soit bien formé, & dont les boutons paroissent bien conditionnés. On fera former un bourrelet si on en a le tems & la commodité : dans ce cas si la branche est menue, on n’entaillera pas l’écorce ; il suffira d’une ligature ferme de léton ou de ficelle cirée : si elle a plus d’un pouce de diametre, on pourra enlever un petit anneau d’écorce de la largeur d’une ligne, & recouvrir le bois de plusieurs tours de fil ciré : si la branche ne périt pas, le bourrelet en sera plus gros & plus disposé à produire des racines ; on recouvrira aussitôt l’endroit où se doit former le bourrelet avec de la terre & de la mousse qu’on retiendra avec un réseau de ficelle : on fera bien de garantir cet endroit du soleil, & de le tenir un peu humide. Le mois de Mars suivant, si en défaisant l’appareil on trouve au-dessus de la ligature un gros bourrelet, on aura tout lieu d’espérer du succès ; si le bourrelet est chargé de mammelons ou de racines, le succès est certain ; on pourra en assûrance couper les boutures au-dessous du bourrelet & les mettre en terre, comme on va dire.

Si on n’a pas le tems ou la commodité de laisser former des bourrelets, on enlevera du moins avec les boutures la grosseur qui se trouve à l’insertion des branches. Si dans la portion des boutures qui doit être en terre il y a quelques branches à retrancher, on ne les abattra pas au ras de la branche : mais pour ménager la grosseur dont on vient de parler, on conservera sur les boutures une petite éminence qui ait seulement deux lignes d’épaisseur.

Si à la portion des boutures qui doit être en terre il y avoit des boutons, on les arracheroit, en ména-

geant seulement les petites éminences qui les supportent,

puisqu’on a reconnu qu’elles sont disposées à fournir des racines. Malpighi recommande de faire de petites entailles à l’écorce ; & je crois que cette précaution peut être avantageuse.

Voilà les boutures choisies & taillées : il faut faire ensorte qu’elles ne se dessechent pas, qu’elles ne pourrissent pas, & qu’elles poussent promptement des racines. Voyez dans le Mémoire de M. Duhamel ce qu’on peut pratiquer pour remplir ces intentions.

Quant aux marcottes, quand on veut en avoir beaucoup d’un même arbre, on fait ce que les jardiniers appellent des meres, c’est-à-dire qu’on abat un gros arbre presqu’à ras de terre ; le tronc coupé pousse au printems quantité de bourgeons ; l’automne suivante on bute la souche, c’est-à-dire qu’on la couvre d’un bon demi-pié d’épaisseur de terre, ayant soin que les bourgeons sortent en-dehors : deux ans après on trouve tous ces bourgeons garnis de bonnes racines, & en état d’être mis en pépiniere ; & comme la souche à mesure qu’on la décharge de bourgeons qui ont pris racine, en fournit de nouveaux, une mere bien ménagée fournit tous les deux ans du plant enraciné en abondance, & cela pendant des 12 à 15 années.

La tige pousse d’autant plus de bourgeons qu’elle est plus grosse, & qu’on n’auroit qu’un très-petit nombre de boutures d’une tige qui n’auroit que deux à trois pouces de diametre. En ce cas, on coupe la tige à un pié ou deux piés de terre : elle produit quantité de bourgeons dans toute cette longueur ; l’automne on fait une décomble tout autour & une tranchée, dans le milieu de laquelle on couche cette tige, & on étend de côté & d’autre tous les bourgeons. On couvre de terre la tige couchée, & l’insertion des bourgeons ; & on peut être assûré que la seconde année, toutes ces marcottes seront bien garnies de racines.

Mais il y a des branches qui seront dix à douze ans en terre, sans y produire la moindre racine ; tel est le catalpa : alors il faut arrêter la séve descendante, & occasionner la formation d’un bourrelet par incision ou par ligature.

On fera l’incision ou la ligature à la partie basse. Si on laisse les bourgeons dans la situation qu’ils ont prise naturellement, on fera la ligature le plus près qu’on pourra de la souche ou de la branche dont on sort la marcotte. Si on est obligé de courber la marcotte, on placera la ligature à la partie la plus basse au-dessous d’un bouton de l’éruption d’une branche, &c.

Enfin comme les racines poussent aux endroits où les tumeurs sont environnées d’une terre convenablement humectée, on entretiendra la terre fraîche & humide ; ce sera pour les marcottes qu’on fait en pleine terre, en couvrant la terre de litiere & en l’arrosant. Quant aux marcottes qu’on passe dans des mannequins, pots ou caisses, voyez dans le Mémoire de M. Duhamel les précautions qu’il faut prendre.

Il suit de tout ce qui précede, que plus on étudie la nature, plus on est étonné de trouver dans les sujets les plus vils en apparence des phénomenes dignes de toute l’attention & de toute la curiosité du Philosophe. Ce n’est pas assez de la suivre dans son cours ordinaire & reglé, il faut quelquefois essayer de la dérouter, pour connoître toute sa fécondité & toutes ses ressources. Le peuple rira du Philosophe quand il le verra occupé dans ses jardins à déraciner des arbres pour leur mettre la cime en terre & les racines en l’air : mais ce peuple s’émerveillera quand il verra les branches prendre racine, & les racines se couvrir de feuilles. Tous les jours le sage joue le rôle de Démocrite, & ceux qui l’environnent celui des Abdéritains. Cette aventure est des premiers âges de la Philosophie & d’aujourd’hui.