Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les arbres les plus durs, & qui conservent leurs feuilles pendant l’hyver, comme les lauriers, les cyprès, les chênes-verds, &c. & entre ceux qui sont plus tendres, comme les oliviers, les châtaigniers, les noyers, &c. ceux qui étoient plus vieux & plus forts moururent presque tous. On chercha dans l’Académie la cause de cette bisarrerie apparente (cela suppose qu’on s’étoit bien assuré de sa réalité) ; & M. Cassini le fils en donna une fort simple à l’égard des vieux arbres. Il dit avoir remarqué que le grand froid avoit détaché leur écorce d’avec le bois, de quelque maniere que cela fût arrivé. En effet, il est bien naturel que l’écorce soit plus adhérente au bois dans les jeunes arbres que dans les vieux, beaucoup plus remplis de sucs, & de sucs huileux. M. Chomel en imagina une autre raison. M. Homberg tenta aussi d’expliquer le même phénomene. Voyez leurs conjectures dans les Mémoires de l’Académie.

Quoi qu’il en soit, il est constant que plusieurs arbres qui sembloient avoir échappé à ce cruel hyver, parce qu’ils repousserent des branches & des feuilles à la séve du printems, ne purent profiter de celle de l’automne, & périrent tout-à-fait. Quand on les coupoit, on les trouvoit plus noirs & plus brûlés dans le cœur, que vers l’aubier & vers l’écorce ; le cœur, qui est plus dur, avoit été plus endommagé que l’aubier ; & il étoit déjà mort, que l’aubier conservoit encore un petit reste de vie.

8. Dans plusieurs arbres fruitiers, comme les pommiers, les poiriers, les châtaigniers, & généralement dans ceux qui en imitent le port, tels que sont les noyers, les chênes, les hêtres, la base de la touffe affecte toûjours d’être parallele au plan d’où sortent les tiges, soit que ce plan soit horisontal ou qu’il ne le soit pas ; soit que les tiges elles-mêmes soient perpendiculaires ou inclinées sur ce plan ; & cette affectation est si constante, que si un arbre sort d’un endroit où le plan soit d’un côté horisontal, & de l’autre incliné à l’horison, la base de la touffe se tient d’un côté horisontale, & de l’autre s’incline à l’horison autant que le plan. C’est M. Dodart qui s’est le premier apperçû de ce phénomene extraordinaire, & qui en a recherché la cause.

Nous ne rapporterons point ici les conjectures de M. Dodart, parce que nous ne desespérons pas qu’on n’en forme quelque jour de plus vraissemblables & de plus heureuses ; & que ce seroit détourner les esprits de cette recherche, que donner quelque satisfaction à la curiosité. Quand la solution d’une difficulté est éloignée, notre paresse nous dispose à prendre pour bonne la premiere qui nous est présentée : il suffit donc d’avoir appris le phénomene à ceux qui l’ignoroient.

9. Tout le monde connoît ces cercles peu réguliers d’aubier & de bois parfait, qui se voient toûjours dans le tronc d’un arbre coupé horisontalement, & qui marquent les accroissemens en grosseur qu’il a pris succcessivement, par-là on compte son âge assez sûrement. Le dernier cercle d’aubier qui est immédiatement enveloppé par l’écorce, & la derniere production du tronc en grosseur, est d’une substance plus rare & moins compacte, est bois moins parfait que le cercle qu’il enveloppe lui-même immédiatement, & qui a été la production de l’année précédente ; & ainsi de suite jusqu’au cœur de l’arbre : mais on s’apperçoit qu’à mesure que les cercles concentriques sont plus petits, la différence des couleurs qui est entr’eux disparoît.

On croit assez communément que ces cercles sont plus serrés entr’eux du côté du nord que du côté du midi ; & on en conclut qu’il seroit possible de s’orienter dans une forêt en coupant un arbre. En effet, il paroît assez naturel que les arbres croissent plus en grosseur du côté qu’ils sont plus exposés aux rayons

du soleil : cependant ce sentiment n’est pas général ; on soûtient que c’est du côté du midi que les cercles sont plus serrés ; & on en donne la raison physique, bonne ou mauvaise : quelques-uns même sont pour le levant, & d’autres pour le couchant.

On a trouvé par un grand nombre d’expériences que ces faits opposés sont vrais. L’arbre a de grosses racines qui se jettent les unes d’un côté les autres de l’autre : s’il en avoit quatre à peu près égales, qui tendissent vers les quatre points cardinaux de l’horison, elles fourniroient à tout le tronc une nourriture égale, & les différens cercles auroient chaque année un même accroissement, une même augmentation de largeur ou d’épaisseur, sauf les inégalités qui peuvent survenir d’ailleurs : mais si une des quatre racines manque, celle du nord, par exemple, ce côté-là du tronc sera moins nourri, & les cercles par conséquent seront moins larges ou plus serrés du côté du nord : mais une grosse branche qui part du tronc d’un certain côté, fait le même effet qu’une grosse racine ; la nourriture qui a dû se porter à cette branche en plus grande abondance, a rendu les cercles plus larges de ce côté-là ; & de-là le reste s’ensuit. Mais on voit que tout cela suppose une direction réguliere dans le mouvement des sucs de l’arbre : or une si parfaite régularité n’est pas dans la nature ; il faut y calculer des à peu près, réitérer des expériences, & reconnoître une cause générale à travers les petites altérations qu’on remarque dans ses effets.

D’où il s’ensuit que plus les grosses racines sont également distribuées autour du pré de l’arbre, & les grosses branches autour du tronc, plus la nourriture sera également distribuée dans toute la substance de l’arbre ; de sorte qu’on aura un signe extérieur d’une de ses principales qualités, relativement à l’usage des bois.

L’aubier se convertit peu-à-peu en bois parfait, qu’on appelle cœur : il lui arrive, par le mouvement soit direct soit latéral de la séve, des particules qui s’arretent dans les interstices de la substance lâche, & la rendent plus ferme & plus dure. Avec le tems l’aubier n’est plus aubier ; c’est une couche ligneuse : le dernier aubier est à la circonférence extérieure du tronc ; & il n’y en a plus quand l’arbre cesse de croître.

Un arbre est d’autant plus propre au service, qu’il a moins d’aubier & plus de cœur ; & MM. Duhamel & de Buffon, dont nous tirons ces remarques, ont trouvé, par des expériences réitérées, que les bons terreins ont toûjours fourni les arbres qui avoient le moins d’aubier ; & que plus les couches d’aubier ont d’étendue, plus le nombre en est petit. En effet, c’est l’abondance de nourriture qui leur donne une plus grande étendue ; & cette même abondance fait qu’elles se convertissent plus promptement en bois, & ne sont plus au nombre des couches d’aubier.

L’aubier n’étant pas compté pour bois de service, deux arbres de même âge & de même espece peuvent être tels par la seule différence des terreins, que celui qui aura crû dans le bon aura deux fois plus de bois de service que l’autre, parce qu’il aura deux fois moins d’aubier. Il faut pour cela que les arbres soient d’un certain âge.

On croit communément qu’en plantant les jeunes arbres qu’on tire de la pépiniere, il faut les orienter comme ils l’étoient dans la pépiniere ; c’est une erreur : 25 jeunes arbres de même espece, plantés dans un même champ, alternativement orientés & non orientés comme dans la pépiniere, ont tous également réussi.

Le froid par lui-même diminue le mouvement de la séve, & par conséquent il peut être au point de l’arrêter tout-à-fait, & l’arbre périra : mais le cas est