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proches, si nous nous contentons d’en juger à la vûe simple. La raison de cela est que nous jugeons de la distance d’un objet principalement par le nombre d’objets que nous voyons interposés entre nous & cet objet ; or quand ces objets intermédiaires sont invisibles, ou qu’ils sont trop petits pour être apperçûs, nous jugeons alors l’objet beaucoup plus proche qu’il n’est en effet. C’est par cette raison, selon le Pere Malebranche, que le soleil à midi nous paroît beaucoup plus près qu’il n’est réellement, parce qu’il n’y a que très-peu d’objets remarquables & sensibles entre cet astre & nos yeux ; au contraire, ce même soleil à l’horison nous paroît beaucoup plus éloigné qu’au méridien ; parce que nous voyons alors entre lui & nous un bien plus grand nombre d’objets terrestres, & une plus grande partie de la voûte céleste. C’est encore par cette raison que la lune, vûe derriere quelque grand objet comme une muraille, nous paroît immédiatement contiguë à cet objet. Une autre raison pour laquelle nous jugeons souvent la distance d’un objet beaucoup plus petite qu’elle n’est réellement, c’est que pour juger de la distance réelle d’un objet, il faut que les différentes parties de cette distance soient apperçûes ; & comme notre œil ne peut voir à la fois qu’un assez petit nombre d’objets, il est nécessaire pour qu’il puisse discerner ces différentes parties, qu’elles ne soient pas trop multipliées. Or lorsque la distance est considérable, ces parties sont en trop grand nombre pour être distinguées toutes à la fois, joint à ce que les parties éloignées agissent trop foiblement sur nos yeux pour pouvoir être apperçûes. La distance apparente d’un objet est donc renfermée dans des limites assez étroites ; & c’est pour cela que deux objets fort éloignés sont jugés souvent à la même distance apparente, ou du moins que l’on n’apperçoit point l’inégalité de leurs distances réelles, quoique cette inégalité soit quelquefois immense, comme dans le soleil & dans la lune, dont l’un est éloigné de nous de 11000 diametres de la terre, l’autre de 60 seulement.

Mouvement apparent, tems apparent, &c. Voyez Mouvement, Tems, &c.

Lieu apparent. Le lieu apparent d’un objet, en Optique, est celui où on le voit. Comme la distance apparente d’un objet est souvent fort différente de sa distance réelle, le lieu apparent est souvent fort différent du lieu vrai. Le lieu apparent se dit principalement du lieu où l’on voit un objet, en l’observant à travers un ou plusieurs verres, ou par le moyen d’un ou plusieurs miroirs. Voyez Dioptrique, Miroir, &c.

Nous disons que le lieu apparent est différent du lieu vrai ; car lorsque la réfraction que souffrent à travers un verre les pinceaux optiques que chaque point d’un objet fort proche envoye à nos yeux, a rendu les rayons moins divergens : ou lorsque par un effet contraire, les rayons qui viennent d’un objet fort éloigné sont rendus par la refraction aussi divergens que s’ils venoient d’un objet plus proche ; alors il est nécessaire que l’objet paroisse à l’œil avoir changé de lieu : or le lieu que l’objet paroît occuper, après ce changement produit par la divergence ou la convergence des rayons, est ce qu’on appelle son lieu apparent. Il en est de même dans les miroirs. Voyez Vision.

Les Opticiens sont fort partagés sur le lieu apparent d’un objet vû par un miroir, ou par un verre. La plûpart avoient crû jusqu’à ces derniers tems que l’objet paroissoit dans le point où le rayon réfléchi ou rompu passant par le centre de l’œil rencontroit la perpendiculaire menée de l’objet sur la surface du miroir ou du verre. C’est le principe que le pere Taquet a employé dans sa Catoptrique, pour expliquer les phénomenes des miroirs convexes & con-

caves ;

c’est aussi celui dont M. de Mairan s’est servi pour trouver la courbe apparente du fond d’un bassin plein d’eau, dans un Mémoire imprimé parmi ceux de l’Académie de 1740. Mais le pere Taquet convient lui-même à la fin de sa Catoptrique, que le principe dont il s’est servi n’est pas général, & qu’il est contredit par l’expérience. A l’égard de M. de Mairan, il paroît donner ce principe comme un principe de Géométrie plûtôt que d’Optique ; & il convient que Newton, Barrow, & les plus célebres auteurs ne l’ont pas entierement admis. Ceux-ci pour déterminer le lieu apparent de l’objet, imaginent d’abord que l’objet envoye sur la surface du verre ou du miroir, deux rayons fort proches l’un de l’autre, lesquels après avoir souffert une ou plusieurs réfractions ou réflexions, entrent dans l’œil. Ces rayons rompus ou refléchis, étant prolongés, concourent en un point, & ils entrent par conséquent dans l’œil comme s’ils venoient de ce point ; d’où il s’ensuit selon Newton & Barrow, que le lieu apparent de l’objet est au point de concours des rayons rompus ou refléchis qui entrent dans l’œil, & ce point est aisé à déterminer par la Géométrie. Voyez l’optique de Newton, & les leçons optiques de Barrow. Ce dernier auteur rapporte même une expérience qui paroît sans replique, & par laquelle il est démontré que l’image apparente d’un fil à plomb enfoncé dans l’eau, est courbe ; d’où il résulte que le lieu apparent d’un objet vû par réfraction n’est point dans l’endroit où le rayon rompu coupe la perpendiculaire menée de l’objet sur la surface rompante. Mais il faut avoüer aussi que Barrow à la fin de ses leçons d’optique fait mention d’une expérience qui paroît contraire à son principe sur le lieu apparent de l’image : il ajoûte que cette expérience est aussi contraire à l’opinion du Pere Taquet qu’à la sienne : malgré cela Barrow n’en est pas moins attaché à son principe sur le lieu apparent de l’objet, qui lui paroît évident & très-simple ; & il croit que dans le cas particulier où ce principe semble ne pas avoir lieu, on n’en doit attribuer la cause qu’au peu de lumieres que nous avons sur la vision directe. A l’égard de M. Newton, quoiqu’il suive le principe de Barrow sur le lieu apparent de l’image, il paroît regarder la solution de ce probleme comme une des plus difficiles de l’Optique : Puncti illius, dit-il, accurata determinatio problema solutu difficillimum proebebit, nisi hypothesi alicui saltem verisimili, si non accuratè veroe, nitatur assertio. Lec. opt. schol. Prop. VIII. p. 80. Voyez Miroir & Dioptrique.

Quoi qu’il en soit, voici des principes dont tous les Opticiens conviennent.

Si un objet est placé à une distance d’un verre convexe, moindre que celle de son foyer, on pourra déterminer son lieu apparent : s’il est placé au foyer, son lieu apparent ne pourra être déterminé ; on le verra seulement dans ce dernier cas extremement éloigné, ou plûtôt on le verra très-confusément.

Le lieu apparent ne pourra point encore se déterminer, si l’objet est placé au-de-là du foyer d’un verre convexe : cependant si l’objet est plus éloigné du verre convexe que le foyer, & que l’œil soit placé au-de-là de la base distincte, son lieu apparent sera dans la base distincte. On appelle base distincte un plan qui passe par le point de concours des rayons rompus. Voyez Lentille.

De même si un objet est placé à une distance d’un miroir concave moindre que celle de son foyer, on peut déterminer son lieu apparent : s’il est placé au foyer, il paroîtra infiniment éloigné, ou plûtôt il paroîtra confusément, son lieu apparent ne pouvant être déterminé.

Si l’objet est plus éloigné du miroir que le foyer, & que l’œil soit placé au-de-là de la base distincte,