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respecter les corps morts sous les peines les plus séveres ; les Anatomistes en furent réduits à des hasards inopinés ; il leur fallut trouver ou des tombeaux ouverts ou des malfaiteurs exposés. Les enfans abandonnés en naissant furent leur plus grande ressource, & ce fut dans les ouvrages des Anatomistes, sur les grands chemins, sur les enfans exposés, sur les animaux, & sur-tout sur les singes, que Galien s’instruisit en Anatomie. Il nous a laissé deux ouvrages qui l’ont immortalisé ; l’un est intitulé Administrations anatomiques, & l’autre de l’Usage des parties du corps humain. Il dit qu’en les écrivant il compose un Hymne à l’honneur de celui qui nous a faits ; & j’estime, ajoûte-t-il, que la solide piété ne consiste pas tant à sacrifier à Dieu une centaine de taureaux qu’à annoncer aux hommes sa sagesse & sa toute-puissance. On voit, en parcourant ces ouvrages, que Galien possédoit toutes les découvertes anatomiques des siecles qui l’avoient précédé, & que s’il n’y en ajoûta pas un grand nombre d’autres sur l’anatomie du corps humain, ce fut manque d’occasions & non d’activité. Trompé par la ressemblance extérieure de l’homme avec le singe, il a souvent attribué à celui-ci ce qui ne convenoit qu’à celui-là ; c’est du reste le seul reproche qu’on lui fasse.

Soranus, contemporain de Galien, anatomisa la matrice : Théophile Protospatarius écrivit de la structure du corps humain ; dans une analyse des traités anatomiques de Galien, il dit que la premiere paire de nerfs qui partent des premiers ventricules du cerveau s’étend aux narines ; qu’il y a deux muscles employés pour fermer les paupieres, & un seul pour les ouvrir ; que la substance de la langue est musculeuse ; qu’il y a un ligament fort qui embrasse les vertebres, & que cela est commun à toutes les autres articulations. Oribase, singe de Galien, ne nous a rien laissé qu’on ne trouve dans les ouvrages de son modele, si l’on en excepte la description des glandes salivaires. Théophile écrivit de l’Anatomie sous l’Empereur Heraclius.

Nemesius, évêque d’Emissa en Phénicie, disoit sur la fin du quatrieme siecle, que la bile n’existoit pas dans le corps pour elle-même, mais pour la digestion, l’éjection des excrémens, & d’autres usages ; idée dont Sylvius de le Boë se vantoit long-tems après.

Suivirent les tems d’ignorance & de barbarie, pendant lesquels l’Anatomie éprouva le sort des autres sciences & des autres arts. Il s’écoula des siecles sans qu’il parût aucun Anatomiste ; & l’on est presqu’obligé de sauter depuis Nemesius d’Emissa, jusqu’à Mundinus de Milan, sans être arrêté dans cet intervalle de plus de neuf cens ans, par une seule découverte de quelqu’importance.

Mundinus tenta de perfectionner l’Anatomie : il disséqua beaucoup ; il écrivit : mais au jugement de Douglas & de Freind, il écrivit peu de choses nouvelles ; il avança que les testicules des femmes sont pleins de cavités & de caroncules glanduleuses, & qu’il s’y engendre une humidité assez semblable à de la salive, d’où naît le plaisir de la femme, qui la répand dans l’acte vénérien ; que la matrice est distribuée en sept cellules ; que son orifice ressemble à un bec de tanche ; & qu’il y a à l’orifice du vagin une membrane qu’il appelle velamentum : auroit-il voulu désigner l’hymen ? Une réflexion qui nous est suggerée par ce mêlange de choses fausses & vraies, c’est qu’il semble que les yeux avec lesquels les Auteurs ont vû certaines choses, ne sont pas les mêmes yeux que ceux avec lesquels ils en ont observé d’autres.

Mais je n’aurois jamais fini si j’insistois sur tous les Anatomistes des siecles où je vais entrer. Cet art, qu’on avoit si long-tems négligé, fut tout-à-coup

repris avec enthousiasme. Les différentes parties des cadavres humains suffirent à peine à la multitude des observateurs : de-là vint que les mêmes découvertes se firent souvent en même tems dans des lieux fort éloignés, & par plusieurs Anatomistes à la fois ; & qu’on est très-incertain à qui il faut les attribuer. J’avertis donc ici que je ne prétens dépouiller personne de ce qui lui appartient, & qu’on me trouvera tout disposé à restituer à un Auteur ce que je lui aurai ôté, au premier titre de propriété qui me sera produit en sa faveur. Après cette protestation, qui m’a paru nécessaire, je vais poursuivre avec rapidité l’histoire de l’Anatomie, n’insistant sur les découvertes que lorsqu’elles le mériteront par leur importance, & me conformant à l’ordre chronologique de la premiere édition de leurs principaux ouvrages.

Jean de Concorriggio, Milanois, anatomisa en 1420, & ses œuvres furent publiées à Venise en 1515 : Vesale en 1514 ; André Vesale, natif de Bruxelles, dont le mérite anatomique excita la jalousie des premiers hommes de son tems, & qui donna à ses ouvrages tant de solidité, qu’ils ont résisté à toutes leurs attaques.

On pourroit distribuer l’histoire générale de l’Anatomie en cinq parties : la premiere comprendroit depuis la création jusqu’à Hippocrate ; la seconde, depuis Hippocrate jusqu’à Hérophile & Erasistrate ; la troisieme, depuis Hérophile & Erasistrate jusqu’à Galien ; la quatrieme, depuis Galien jusqu’à Vesale ; & la cinquieme, depuis Vesale jusqu’à nous.

Vesale découvrit le ligament suspenseur du penis, & rectifia un grand nombre de notions auxquelles on étoit attaché de son tems, & qu’il eut le courage d’attaquer, malgré l’autorité de Galien dont elles étoient appuyées.

Achillinus de Bologne parut en 1521 : on lui attribue la découverte du marteau & de l’enclume, deux petits os de l’oreille interne. Dans la même année, Berenger de Carpi, qui guérit le premier le mal vénerien par les frictions mercurielles, & découvrit l’appendice du cœcum, les caroncules des reins, ce qu’il appelloit corps glanduleux, & la ligne blanche, qu’il nomme ligne centrale. En 1524, Jason Desprez : Alexander Benedictus de Verone, en 1527 : en 1530, Nicolas Massa, qui nous a laissé une description très-exacte de la cloison du scrotum ; & dans la même année, Michel Servet, Espagnol, homme d’un génie peu commun, qui entrevit la circulation du sang, ainsi qu’il paroît par des passages tirés d’ouvrages qui ont été funestes à l’Auteur, & dont les titres ne promettent rien de semblable : l’un est de Trinitatis erroribus ; & l’autre, Christianismi restitutio. Volcher Coyter, en 1534 ; il naquit à Groningue, & fit les premieres observations sur l’incubation des œufs, travail que Parisanus continua long-tems après en 1536, Guinterus d’Andernach, qui nomma pancreas le corps glanduleux de ce nom, & découvrit la complication de la veine & de l’artere spermatique : en 1537, Louis Bonnaccioli, qui décrivit les nymphes & le clitoris, comme des parties distinctes : Vassée de Catalogne, en 1540 : Jean Fernel, d’Amiens, en 1542 : Charles Etienne, de la Faculté de Paris, & Thomas Vicary, de Londres, en 1545 : en 1548, Arantius, & Thomas Gemini, qui pensa voler à Vesale ses planches anatomiques, dont il n’étoit que le graveur : en 1551, Jacques Sylvius, qui apperçut le premier les valvules placées à l’orifice de la veine azygos, de la jugulaire, de la brachiale, de la crurale ; & au tronc de la veine cave qui part du foie, le muscle de la cuisse appellé le quarré, l’origine du muscle droit, &c. en 1552, André Lacuna : en 1556, Jean Valverda, qui mérite une place parmi les Anatomistes, moins par ses découvertes que par son application à l’Anato-