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nonceront que la personne morte a été empoisonnée, ou qu’elle est morte naturellement ; qu’un enfant étoit mort avant que de naître, ou qu’il a été étouffé après sa naissance, &c. Combien de contestations portées à leurs Tribunaux, où l’impuissance, la sterilité, le tems de l’accouchement, l’avortement, l’accouchement simulé ou dissimulé, &c. se trouvent compliqués ! Ils sont obligés de s’en tenir aveuglément aux rapports des Medecins & des Chirurgiens. Ces rapports sont motivés, à la vérité : mais, qu’importe, si les motifs sont inintelligibles pour le Magistrat ? L’Anatomie ne seroit donc pas tout-à-fait inutile à un Magistrat.

Cinquieme proposition. Les Peintres, les Sculpteurs, devront à l’étude plus ou moins grande qu’ils auront faite de l’Anatomie, le plus ou le moins de correction de leurs desseins. Les Raphaels, les Michel-Anges, les Rubens, &c. avoient étudié particulierement l’Anatomie. L’étude de la partie de l’Anatomie qui est relative à ces arts, est donc nécessaire pour y exceller.

Sixieme proposition. Chacun a intérêt à connoître son corps ; il n’y a personne que la structure, la figure, la connexion, la communication des parties dont il est composé, ne puisse confirmer dans la croyance d’un Etre tout-puissant. A ce motif si important, il se joint un intérêt qui n’est pas à négliger, celui d’être éclairé sur les moyens de se bien porter, de prolonger sa vie, d’expliquer plus nettement le lieu, les symptomes de sa maladie, quand on se porte mal ; de discerner les charlatans ; de juger, du moins en général, des remedes ordonnés, &c. Aulu-Gelle ne peut souffrir que des hommes libres, & dont l’éducation doit être conforme à leur état, ignorent rien de ce qui a rapport à l’œconomie du corps humain. La connoissance de l’Anatomie importe donc à tout homme.

Histoire abregée des progrès de l’Anatomie. Est-il étonnant après cela qu’on fasse remonter l’origine de l’Anatomie aux premiers ages du monde ? Eusebe dit qu’on lisoit dans Manethon, qu’Athotis, dont la chronologie Egyptienne fixoit le regne plusieurs siecles avant notre ere, avoit écrit des Traités d’Anatomie. Parcourez les livres saints, arrêtez-vous à la description allégorique que l’Ecclésiaste fait de la vieillesse : memento creatoris tui, dum juvenis es, &c. & vous appercevrez dès ces tems des vestiges de systèmes physiologiques. Homere dit de la blessure qu’Enée reçut de Diomede, que les deux nerfs qui retiennent le femur, s’étant rompus, l’os se brisa au-dedans de la cavité où est reçû le condyle supérieur ; ce Poëte est dans d’autres occasions semblables si exact & si circonstancié, que quelques Auteurs ont prétendu qu’on tireroit de ses ouvrages un corps d’Anatomie assez étendu. Dès les premiers ages du monde, l’inspection des entrailles des victimes, la coûtume d’embaumer, les traitemens des plaies, & les boucheries mêmes, aiderent à connoître la fabrique du corps animal. On est convaincu par les ouvrages d’Hippocrate que l’Ostéologie lui étoit parfaitement connue ; & Pausanias nous dit qu’il fit fondre un squelete d’airain, qu’il consacra à Apollon de Delphes. On seroit tenté de croire qu’il avoit eu des notions de la circulation du sang & de la secrétion des humeurs. Voici là-dessus un des passages les plus frappans. On lit dans Hippocrate : « que les veines sont répandues par tout le corps ; qu’elles y portent le flux, l’esprit & le mouvement, & qu’elles sont toutes des branches d’une seule ». Remarquez que les Anciens donnoient à tous les vaisseaux sanguins indistinctement le nom de veines.

Democrite cultiva l’Anatomie ; & lorsqu’Hippocrate fut appellé par les Abderitains, pour le guérir de sa folie prétendue, il trouva le Philosophe occupé dans ses jardins à disséquer des animaux. Il avoit

écrit sur la nature de l’homme & des chairs ; mais nous n’avons pas son ouvrage.

Pythagore eut aussi des notions anatomiques ; Empedocle, disciple de Pythagore, avoit formé un système sur la génération, la respiration, l’oüie, la chair, & les semences des plantes. Il attribuoit la génération des animaux à des parties de ces animaux mêmes, les unes contenues dans la semence du mâle, les autres dans la semence de la femelle. La réunion de ces parties formoit l’animal, & leur pente à se réunir occasionnoit l’appetit vénérien. Il comparoit l’oreille à un corps sonore que l’air vient frapper ; la chair étoit, selon lui, un composé des quatre élémens ; les ongles étoient une expansion des nerfs racornis par l’air & par le toucher ; les os étoient de la terre & de l’eau condensées ; les larmes & les sueurs, du sang attenué & fondu ; les graines des plantes, des œufs qui tombent quands ils sont mûrs, & que la terre fait éclorre ; & il attribuoit la suspension des liqueurs dans les siphons à la pesanteur de l’air.

Alcmeon autre disciple de Pythagore, passe pour avoir anatomisé le premier des animaux. Ce qui nous reste de son Anatomie ne valoit guere la peine d’être conservé ; il prétendoit que les chevres respirent par les oreilles. Ce que je pourrois ajoûter de sa Physiologie, n’en donneroit pas une grande opinion.

Ce qui nous reste d’Aristote ne nous permet pas de douter de ses progrès en Anatomie. Un fait qui honore autant Alexandre qu’aucune de ses victoires, c’est d’avoir donné à Aristote huit cens talens, près de onze millions de notre monnoie, & d’avoir confié à ses ordres plusieurs milliers d’hommes, pour perfectionner la science de la nature & des propriétés des animaux. Ces puissans secours n’étoient pas restés inutiles entre les mains du Philosophe, s’il est vrai, comme je l’ai entendu dire à un habile Anatomiste, que celui qui en dix ans de travail, parviendroit à savoir ce qu’Aristote a renfermé dans ses deux petits volumes des animaux, auroit bien employé son tems.

Aristote disséqua des quadrupedes, des poissons, des oiseaux & des insectes. Selon ce Philosophe, le cœur est le principe & la source des veines & du sang. Il sort du cœur deux veines : l’une du côté droit, qui est la plus grosse ; l’autre du côté gauche ; ces veines portent le sang dans toutes les parties du corps. Le cœur a trois ventricules dans le fœtus ; ces ventricules communiquent avec le poumon, par deux grandes veines qui se distribuent dans toute sa substance. Le cœur est aussi l’organe des nerfs. Aristote confond, ainsi qu’Hippocrate, les nerfs, les ligamens & les tendons. Le cerveau n’est qu’une masse d’eau & de terre, mais il n’en est pas de même de la moelle épiniere ; il donne au foie, à la rate & aux reins la fonction de soûtenir & de suspendre les vaisseaux. Les testicules ne sont que pour le mieux. Deux canaux viennent s’y rendre de l’aorte, & deux autres des reins : les derniers contiennent du sang ; les premiers n’en contiennent point. Il sort de la tête de chaque testicule ou de l’une de leurs extrèmités, un autre canal plus gros qui se recourbe & va en diminuant vers les deux autres canaux ; ce canal recourbé est enveloppé d’une membrane & se termine à l’origine de la verge : il ne contient point de sang, mais une liqueur blanche. Il y a à l’endroit de la verge où il se termine, une ouverture par laquelle il aboutit dans la verge. Aristote se sert de cette exposition anatomique pour expliquer comment les eunuques ne peuvent engendrer. La conception se fait, selon lui, du mêlange de la semence de l’homme avec le sang menstruel. Il admet de la semence dans la femme : mais il la regarde comme un excrément. Il prend les testicules pour des poids semblables à ceux que les Tissérans attachent à leurs chaînes pour