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qu’il soit fait, ne peut se passer de figures, sans tomber dans des descriptions obscures ou vagues ; combien donc à plus forte raison ce secours ne nous étoit-il pas nécessaire ? Un coup d’œil sur l’objet ou sur sa représentation en dit plus qu’une page de discours.

On a envoyé des Dessinateurs dans les atteliers. On a pris l’esquisse des machines & des outils. On n’a rien omis de ce qui pouvoit les montrer distinctement aux yeux. Dans le cas où une machine mérite des détails par l’importance de son usage & par la multitude de ses parties, on a passé du simple au composé. On a commencé par assembler dans une premiere figure autant d’élémens qu’on en pouvoit appercevoir sans confusion. Dans une seconde figure, on voit les mêmes élémens avec quelques autres. C’est ainsi qu’on a formé successivement la machine la plus compliquée, sans aucun embarras ni pour l’esprit ni pour les yeux. Il faut quelquefois remonter de la connoissance de l’ouvrage à celle de la machine, & d’autres fois descendre de la connoissance de la machine à celle de l’ouvrage. On trouvera à l’article Art quelques réflexions sur les avantages de ces méthodes, & sur les occasions où il est à propos de préférer l’une à l’autre.

Il y a des notions qui sont communes à presque tous les hommes, & qu’ils ont dans l’esprit avec plus de clarté qu’elles n’en peuvent recevoir du discours. Il y a aussi des objets si familiers, qu’il seroit ridicule d’en faire des figures. Les Arts en offrent d’autres si composés, qu’on les représenteroit inutilement. Dans les deux premiers cas, nous avons supposé que le lecteur n’étoit pas entierement dénué de bon sens & d’expérience ; & dans le dernier, nous renvoyons à l’objet même. Il est en tout un juste milieu, & nous avons tâché de ne le point manquer ici. Un seul art dont on voudroit tout représenter & tout dire, fourniroit des volumes de discours & de planches. On ne finiroit jamais si l’on se proposoit de rendre en figures tous les états par lesquels passe un morceau de fer avant que d’être transformé en aiguille. Que le discours suive le procédé de l’artiste dans le dernier détail, à la bonne heure. Quant aux figures, nous les avons restraintes aux mouvemens importans de l’ouvrier & aux seuls momens de l’opération, qu’il est très-facile de peindre & très-difficile d’expliquer. Nous nous en sommes tenus aux circonstances essentielles, à celles dont la représentation, quand elle est bien faite, entraîne nécessairement la connoissance de celles qu’on ne voit pas. Nous n’avons pas voulu ressembler à un homme qui feroit planter des guides à chaque pas dans une route, de crainte que les voyageurs ne s’en écartassent. Il suffit qu’il y en ait par-tout où ils seroient exposés à s’égarer.

Au reste, c’est la main-d’œuvre qui fait l’artiste, & ce n’est point dans les Livres qu’on peut apprendre à manœuvrer. L’artiste rencontrera seulement dans notre Ouvrage des vûes qu’il n’eût peut-être jamais eues, & des observations qu’il n’eût faites qu’après plusieurs années de travail. Nous offrirons au lecteur studieux ce qu’il eût appris d’un artiste en le voyant opérer, pour satisfaire sa curiosité ; & à l’artiste, ce qu’il seroit à souhaiter qu’il apprit du Philosophe pour s’avancer à la perfection.

Nous avons distribué dans les Sciences & dans les Arts libéraux les figures & les Planches, selon le même esprit & la même œconomie que dans les Arts méchaniques ; cependant nous n’avons pû réduire le nombre des unes & des autres, à moins de six cens. Les deux volumes qu’elles formeront ne seront pas la partie la moins intéressante de l’Ouvrage, par l’attention que nous aurons de placer au verso d’une Planche l’explication de celle qui sera vis-à-vis, avec des renvois aux endroits du Dictionnaire auxquels chaque figure sera relative. Un lecteur ouvre un volume de Planches, il apperçoit une machine qui pique sa curiosité : c’est, si l’on veut, un moulin à poudre, à papier, à soie, à sucre, &c. il lira vis-à-vis, figure 50. 51. ou 60. &c. moulin à poudre, moulin à sucre, moulin à papier, moulin à soie, &c. il trouvera ensuite une explication succincte de ces machines avec les renvois aux articles Poudre, Papier, Sucre, Soie, &c.

La Gravure répondra à la perfection des desseins, & nous espérons que les Planches de notre Encyclopédie surpasseront autant en beauté celles du Dictionnaire Anglois, qu’elles les surpassent en nombre. Chambers a trente Planches ; l’ancien projet en promettoit cent vingt, & nous en donnerons six cens au moins. Il n’est pas étonnant que la carriere se soit étendue sous nos pas ; elle est immense, & nous ne nous flatons pas de l’avoir parcourue.

Malgré les secours & les travaux dont nous venons de rendre compte, nous déclarons sans peine, au nom de nos Collegues & au nôtre, qu’on nous trouvera toûjours disposés à convenir de notre insuffisance, & à profiter des lumieres qui nous seront communiquées. Nous les recevrons avec reconnoissance, & nous nous y conformerons avec docilité, tant nous sommes persuadés que la perfection derniere d’une Encyclopédie est l’ouvrage des siecles. Il a fallu des siecles pour commencer ; il en faudra pour finir : mais nous serons satisfaits d’avoir contribué à jetter les fondemens d’un Ouvrage utile.

Nous aurons toûjours la satisfaction intérieure de n’avoir rien épargné pour réussir : une des preuves que nous en apporterons, c’est qu’il y a des parties dans les Sciences & dans les