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à la monotonie & au dégoût qui sont presque inséparables des Ouvrages étendus, & que l’extrême variété des matieres doit écarter de celui-ci.

Nous en avons dit assez pour instruire le Public de la nature d’une entreprise à laquelle il a paru s’intéresser ; des avantages généraux qui en résulteront, si elle est bien exécutée ; du bon ou du mauvais succès de ceux qui l’ont tentée avant nous ; de l’étendue de son objet ; de l’ordre auquel nous nous sommes assujettis ; de la distribution qu’on a faite de chaque partie, & de nos fonctions d’Éditeurs. Nous allons maintenant passer aux principaux détails de l’exécution.

Toute la matiere de l’Encyclopédie peut se réduire à trois chefs ; les Sciences, les Arts libéraux, & les Arts méchaniques. Nous commencerons par ce qui concerne les Sciences & les Arts libéraux ; & nous finirons par les Arts méchaniques.

On a beaucoup écrit sur les Sciences. Les traités sur les Arts libéraux se sont multipliés sans nombre ; la république des Lettres en est inondée. Mais combien peu donnent les vrais principes ? Combien d’autres les noyent dans une affluence de paroles, ou les perdent dans des ténebres affectées ? Combien dont l’autorité en impose, & chez qui une erreur placée à côté d’une vérité, ou décrédite celle-ci, ou s’accrédite elle-même à la faveur de ce voisinage ? On eût mieux fait sans doute d’écrire moins & d’écrire mieux.

Entre tous les Écrivains, on a donné la préférence à ceux qui sont généralement reconnus pour les meilleurs. C’est de-là que les principes ont été tirés. À leur exposition claire & précise, on a joint des exemples ou des autorités constamment reçûes. La coûtume vulgaire est de renvoyer aux sources, ou de citer d’une maniere vague, souvent infidelle, & presque toûjours confuse ; ensorte que dans les différentes parties dont un article est composé, on ne sait exactement quel Auteur on doit consulter sur tel ou tel point, ou s’il faut les consulter tous, ce qui rend la vérification longue & pénible. On s’est attaché, autant qu’il a été possible, à éviter cet inconvénient, en citant dans le corps même des articles les Auteurs sur le témoignage desquels on s’est appuyé ; rapportant leur propre texte quand il est nécessaire ; comparant par-tout les opinions ; balançant les raisons ; proposant des moyens de douter ou de sortir de doute ; décidant même quelquefois ; détruisant autant qu’il est en nous les erreurs & les préjugés ; & tâchant sur-tout de ne les pas multiplier, & de ne les point perpétuer, en protégeant sans examen des sentimens rejettés, ou en proscrivant sans raison des opinions reçûes. Nous n’avons pas craint de nous étendre quand l’intérêt de la vérité & l’importance de la matiere le demandoient, sacrifiant l’agrément toutes les fois qu’il n’a pû s’accorder avec l’instruction.

Nous ferons ici sur les définitions une remarque importante. Nous nous sommes conformés dans les articles généraux des Sciences à l’usage constamment reçû dans les Dictionnaires & dans les autres Ouvrages, qui veut qu’on commence en traitant d’une Science par en donner la définition. Nous l’avons donnée aussi, la plus simple même & la plus courte qu’il nous a été possible. Mais il ne faut pas croire que la définition d’une Science, sur-tout d’une Science abstraite, en puisse donner l’idée à ceux qui n’y sont pas du moins initiés. En effet, qu’est-ce qu’une Science ? sinon un système de regles ou de faits relatifs à un certain objet ; & comment peut-on donner l’idée de ce système à quelqu’un qui seroit absolument ignorant de ce que le système renferme ? Quand on dit de l’Arithmétique, que c’est la Science des propriétés des nombres, la fait-on mieux connoître à celui qui ne la sait pas, qu’on ne feroit connoître la pierre philosophale, en disant que c’est le secret de faire de l’or ? La définition d’une Science ne consiste proprement que dans l’exposition détaillée des choses dont cette Science s’occupe, comme la définition d’un corps est la description détaillée de ce corps même ; & il nous semble d’après ce principe, que ce qu’on appelle définition de chaque Science seroit mieux placé à la fin qu’au commencement du livre qui en traite : ce seroit alors le résultat extrèmement réduit de toutes les notions qu’on auroit acquises. D’ailleurs, que contiennent ces définitions pour la plûpart, sinon des expressions vagues & abstraites, dont la notion est souvent plus difficile à fixer que celles de la Science même ? Tels sont les mots, science, nombre, & propriété, dans la définition déjà citée de l’Arithmétique. Les termes généraux sans doute sont nécessaires, & nous avons vû dans ce Discours quelle en est l’utilité : mais on pourroit les définir, un abus forcé des signes, & la plûpart des définitions, un abus tantôt volontaire, tantôt forcé des termes généraux. Au reste nous le répétons : nous nous sommes conformés sur ce point l’usage, parce que ce n’est pas à nous à le changer, & que la forme même de ce Dictionnaire nous en empêchoit. Mais en ménageant les préjugés, nous n’avons point dû appréhender d’exposer ici des idées que nous croyons saines. Continuons à rendre compte de notre Ouvrage.

L’empire des Sciences & des Arts est un monde éloigné du vulgaire où l’on fait tous les jours des découvertes, mais dont on a bien des relations fabuleuses. Il étoit important d’assûrer les vraies, de prévenir sur les fausses, de fixer des points d’où l’on partît, & de faciliter ainsi la