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esprit ? Quoi ! Dieu le créateur de tout ne peut-il pas éterniser ou anéantir votre ame à son gré, quelle que soit sa substance ? Le superstitieux vient à son tour, & dit qu’il faut brûler pour le bien de leurs ames ceux qui soupçonnent qu’on peut penser avec la seule aide du corps : mais que diroit-il si c’étoit lui-même qui fût coupable d’irréligion ? En effet quel est l’homme qui osera assûrer sans une impiété absurde, qu’il est impossible au Créateur de donner à la matiere la pensée & le sentiment ? Voyez, je vous prie, à quel embarras vous êtes réduits, vous qui bornez ainsi la puissance du Créateur » ? Dans ce raisonnement je vois l’homme d’esprit, & nullement le métaphysicien. Il ne faut pas s’imaginer que pour résoudre cette question il faille connoître l’essence & la nature de la matiere : les raisonnemens que l’Auteur fonde sur cette ignorance ne sont nullement concluans. Il suffit de remarquer que le sujet de la pensée doit être un ; or un amas de matiere n’est pas un, c’est une multitude. Ces mots, amas, assemblage, collection, ne signifient qu’un rapport externe entre plusieurs choses, une maniere d’exister dépendamment les unes des autres. Par cette union nous les regardons comme formant un seul tout, quoique dans la réalité elles ne soient pas plus une que si elles étoient séparées. Ce ne sont là, par conséquent, que des termes abstraits qui au dehors ne supposent pas une substance unique, mais une multitude de substances. Or, que notre ame doive être une d’une unité parfaite, c’est ce qu’il est aisé de prouver. Je regarde une perspective agréable, j’écoute un beau concert ; ces deux sentimens sont également dans toute l’ame. Si l’on y supposoit deux parties, celle qui entendroit le concert n’auroit pas le sentiment de la vûe agréable ; puisque l’une n’étant pas l’autre, elle ne seroit pas susceptible des affections de l’autre. L’ame n’a donc point de parties, elle compare divers sentimens qu’elle éprouve. Or, pour juger que l’un est douloureux, & l’autre agréable, il faut qu’elle ressente tous les deux ; & par conséquent qu’elle soit une même substance très-simple. Si elle avoit seulement deux parties, l’une jugeroit de ce qu’elle sentiroit de son côté, & l’autre de ce qu’elle sentiroit en particulier de son côté, sans qu’aucune des deux pût faire la comparaison, & porter son jugement sur les deux sentimens ; l’ame est donc sans parties & sans nulle composition. Ce que je dis ici des sentimens, je peux le dire des idées : que A, B, C, trois substances qui entrent dans la composition du corps se partagent trois perceptions différentes ; je demande où s’en fera la comparaison. Ce ne sera pas dans A, puisqu’elle ne sauroit composer une perception qu’elle a avec celles qu’elle n’a pas. Par la même raison, ce ne sera ni dans B ni dans C ; il faudra donc admettre un point de réunion, une substance qui soit en même tems un sujet simple & indivisible de ces trois perceptions, distincte par conséquent du corps ; une ame, en un mot, purement spirituelle.

L’ame étant une substance très-simple, il ne peut y avoir de division dans elle ; & celles que nous y supposons pour concevoir d’une maniere plus nette les diverses choses qui s’y passent, ne consistent qu’en pures abstractions. L’entendement, c’est l’ame entant qu’elle se représente simplement un objet ; la volonté, c’est l’ame entant qu’elle se détermine vers tel objet ou s’en éloigne. C’est ce qu’on a désigné du nom de facultés de l’ame. Ce sont diverses manieres d’exercer la force unique qui constitue l’essence de l’ame. Quiconque veut s’instruire à fond de toutes les opérations de l’ame, trouvera de quoi se satisfaire dans plusieurs excellens Ouvrages dont les principaux sont la recherche de la vérité, le traité de l’entendement humain, & les deux Philosophies de M.

Wolf. Ces dernieres surtout sont ce qui a paru jusqu’à présent de plus circonstancié & de mieux développé sur cet important sujet. Après avoir établi l’existence de l’ame, M. Wolf la considere par rapport à la faculté de connoître qu’il distingue en inférieure & supérieure. La partie inférieure comprend la perception, source des idées, le sentiment, l’imagination, la faculté de former des fictions, la mémoire, l’oubli & la réminiscence. La partie supérieure de la faculté de connoître consiste dans l’attention & la réflexion, dans l’entendement en général & ses trois opérations en particulier, & dans les dispositions naturelles de l’entendement. La seconde faculté générale de l’ame, c’est celle d’appéter ou de se porter vers un objet, entant qu’elle le considere comme un bien ; d’où résulte la détermination contraire, lorsqu’elle l’envisage comme un mal. Cette faculté se partage même en partie inférieure & partie supérieure. La premiere n’est autre chose que l’appétit sensitif & l’aversation sensitive, ou le goût & l’éloignement que nous conservons pour les objets en nous laissant diriger par les idées confuses des sens ; delà naissent les passions. La partie supérieure est la volonté entant que nous voulons ou ne voulons pas, uniquement parce que des idées distinctes, exemptes de toute impression machinale, nous y déterminent. La liberté est l’usage que nous faisons de ce pouvoir de nous déterminer. Enfin, il regne une liaison entre les opérations de l’ame & celles du corps dont l’expérience nous apprend les regles invariables. Voilà l’analyse psychologique de M. Wolf.

La question de l’immortalité de l’ame est nécessairement liée avec la spiritualité de l’ame. Nous ne connoissons de destruction que par l’altération ou la séparation des parties d’un tout ; or nous ne voyons point de parties dans l’ame : bien plus nous voyons positivement que c’est une substance parfaitement une & qui n’a point de parties. Pherécide le Syrien est le premier qui au rapport de Cicéron & de S. Augustin, répandit dans la Grece le dogme de l’immortalité de l’ame. Mais ni l’un ni l’autre ne nous détaillent les preuves dont il se servoit, & de quelles preuves pouvoit se servir un Philosophe qui, quoique rempli de bon sens, confondoit les substances spirituelles avec les matérielles, ce qui est esprit avec ce qui est corps. On sait seulement que Pythagore n’entendit point parler de ce dogme dans tous les voyages qu’il fit en Egypte & en Assyrie, & qu’il le reçut de Phérécide, touché principalement de ce qu’il avoit de neuf & d’extraordinaire. L’Orateur Romain ajoûte que Platon étant venu en Italie pour converser avec les disciples de Pythagore approuva tout ce qu’ils disoient de l’immortalité de l’ame, & en donna même une sorte de démonstration qui fut alors très applaudie : mais il faut avoüer que rien n’est plus frêle que cette démonstration, & qu’elle part d’un principe suspect. En effet, pour connoître quelle espece d’immortalité il attribuoit à l’ame, il ne faut que considérer la nature des argumens qu’il emploie pour la prouver. Les argumens qui lui sont particuliers & pour lesquels il est si fameux ne sont que des argumens métaphysiques tirés de la nature & des qualités de l’ame, & qui par conséquent ne prouvent que sa permanence, & certainement il la croyoit ; mais il y a de la différence entre la permanence de l’ame pure & simple, & la permanence de l’ame accompagnée de châtimens & de récompenses. Les preuves morales sont les seules qui puissent prouver un état futur & proprement nommé de peines & de récompenses. Or Platon, loin d’insister sur ce genre de preuves, n’en allegue point d’autres, comme on peut le voir dans le douzieme livre de ses lois, que l’autorité de la tradition & de la religion. Je tiens tout cela pour vrai, dit-il, parce que je l’ai oüi dire. Par là