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distingue deux sortes d’alun, le naturel ou natif, & le factice, quoique celui-ci soit aussi naturel que l’autre. On a voulu faire entendre par cette épithete, qu’il faut faire plusieurs opérations pour le tirer de la mine, & que ce n’est qu’après avoir été travaillé que nous l’obtenons en crystaux, ou en masses salines. A peine connoissons-nous aujourd’hui l’alun naturel. Les Anciens au contraire en faisoient un très grand usage : ils en distinguerent de deux sortes, le liquide & le sec. L’alun naturel liquide, n’étoit pas absolument en liqueur. Il paroît par les descriptions, que cet alun étoit seulement humide & mouillé, & qu’il attiroit l’humidité de l’air. Ainsi on ne le disoit liquide, que pour le distinguer de l’alun sec : l’alun liquide étoit plus ou moins pur. Le plus pur étoit lisse & uni, quelquefois transparent, mais ordinairement nuageux. La surface de l’autre alun liquide étoit inégale, & il se trouvoit mêlé avec des matieres étrangeres, suivant la description des mêmes Auteurs.

Les Anciens distinguoient aussi deux sortes d’alun naturel sec ; ils le reconnoissoient aux différences de la figure & de la texture : ou il étoit fendu & comme la fleur de celui qui est en masse, car il étoit formé en mottes ou en lattes ; ou il se fendoit & se partageoit en cheveux blancs ; ou il étoit rond & se distribuoit encore en trois especes ; en alun moins serré & comme formé de bulles ; en alun percé de trous fistuleux, & presque semblable à l’éponge ; en alun presque rond & comme l’astragale : ou il ressembloit à de la brique ; ou il étoit composé de croûtes. Et tous ces aluns avoient leurs noms.

M. de Tournefort trouva dans l’isle de Milo de l’alun naturel liquide. Voici en peu de mots ce qu’il rapporte sur les mines de ce sel. Rélation d’un voyage du Levant, tom. I. p. 163. « Les principales mines sont à une demi-lieue de la ville de Milo, du côté de Saint-Venerande : on n’y travaille plus aujourd’hui. Les habitans du pays ont renoncé à ce commerce, dans la crainte que les Turcs ne les inquiétassent par de nouveaux impôts. On entre d’abord dans une caverne, d’où l’on passe dans d’autres cavités qui ont été creusées autrefois à mesure que l’on en tiroit l’alun. Ces cavités sont en forme de voûtes, hautes seulement de quatre ou cinq piés sur neuf ou dix de largeur. L’alun est incrusté presque partout sur les parois de ces soûterrains. Il se détache en pierres plates de l’épaisseur de huit ou neuf lignes, & même d’un pouce. A mesure qu’on tire ces pierres, il s’en trouve de nouvelles par-dessous. La solution de cet alun naturel est aigrelette & styptique : elle fermente avec l’huile de tartre, & elle la coagule. Ce mêlange ne donne aucune odeur urineuse. On trouve aussi dans ces cavernes de l’alun de plume ; il vient par gros paquets, composés de filets déliés comme la soie la plus fine, argentés, luisans, longs d’un pouce & demi ou deux. Ces faisceaux de fibres s’échappent à-travers des pierres qui sont très-légeres & friables. Cet alun a le même goût que l’alun en pierre dont on vient de parler, & il produit le même effet quand on le mêle avec l’huile de tartre ».

Le nom d’alun de plume vient de ce que ces filets déliés sont quelquefois disposés de façon qu’ils ressemblent aux barbes d’une plume. On confond souvent cette sorte d’alun avec l’amiante ou pierre incombustible ; parce que cette pierre est composée de petits filets déliés comme ceux de l’alun. M. de Tournefort rapporte que dans tous les endroits où il avoit demandé de l’alun de plume en France, en Italie, en Hollande, en Angleterre, &c. on lui avoit toûjours présenté une mauvaise espece d’amiante, qui vient des environs de Carysto dans l’isle de Négrepont.

On fait encore à présent la même équivoque ; parce que l’alun de plume est si rare, que l’on n’en trouve presque plus que dans les cabinets des curieux. Il est cependant fort aisé de le distinguer de l’amiante : cette pierre est insipide. L’alun de plume au contraire a le même goût que l’alun ordinaire. « On rencontre, continue M. de Tournefort, à quatre milles de la ville de Milo vers le sud, sur le bord de la mer, dans un lieu fort escarpé, une grotte d’environ quinze pas de profondeur, dans laquelle les eaux de la mer pénetrent quand elles sont agitées. Cette grotte, après quinze ou vingt piés de hauteur, a ses parois revêtues d’alun sublimé, aussi blanc que la neige dans quelques endroits, & roussâtres ou dorées dans d’autres. Parmi ces concrétions on distingue deux sortes de fleurs très-blanches & déliées comme des brins de soie ; les unes sont alumineuses & d’un goût aigrelet, les autres sont pierreuses & insipides. Les filets alumineux n’ont que trois ou quatre lignes de longueur, & ils sont attachés à des concrétions d’alun : ainsi ils ne different pas de l’alun de plume. Les filets pierreux sont plus longs, un peu plus flexibles, & ils sortent des rochers ». M. de Tournefort croit qu’il y a beaucoup d’apparence que c’est la pierre que Dioscoride a comparée à l’alun de plume, quoiqu’elle soit sans goût & sans astriction, comme le dit ce dernier Auteur, qui la distingue de l’amiante.

Les incrustations de la grotte dont on vient de parler, ne brûlent point dans le feu : il reste une espece de rouille après qu’elles sont consumées. On trouve de semblables concrétions sur tous les rochers qui sont autour de cette grotte : mais il y en a qui sont de sel marin sublimé, aussi doux au toucher que la fleur de la farine. On voit des trous dans lesquels l’alun paroît pur & comme friable ; si on le touche on le trouve d’une chaleur excessive. Ces concrétions fermentent à froid avec l’huile de tartre.

A quelques pas de distance de cette grotte, M. de Tournefort en trouva une autre dont le fond étoit rempli de soufre enflammé qui empêchoit d’y entrer. La terre des environs fumoit continuellement, & jettoit souvent des flammes. On voyoit dans quelques endroits du soufre pur & comme sublimé qui s’enflammoit à tout instant : dans d’autres endroits, il distilloit goutte à goutte une solution d’alun d’une stypticité presque corrosive. Si on la mêloit avec l’huile de tartre, elle fermentoit vivement.

On seroit porté à croire que cette liqueur seroit l’alun liquide dont Pline a parlé, & qu’il dit être dans l’isle de Melos. Mais on peut voir dans Dioscoride que cette espece d’alun n’étoit pas liquide ; & que, comme nous l’avons déja dit, les descriptions que les Anciens nous ont laissées de l’alun liquide, prouvent qu’il n’étoit point en liqueur.

On suit différens procédés pour faire l’alun factice ; & suivant les différentes matieres dont on se sert, on a ou l’alun rouge, ou le romain, ou le citronné, auxquels il faut ajoûter l’alun de plume, dont nous avons déjà fait mention, l’alun sucré, & l’alun brûlé.

Les mines d’alun les plus ordinaires sont 1°. les rocs un peu résineux : 2°. le charbon de terre : 3°. toutes les terres combustibles, brunes & feuilletées comme l’ardoise. La mine de charbon de terre de Laval au Maine, a donné de l’alun en assez grande quantité, dans les essais qu’en a fait M. Hellot de l’Académie Royale des Sciences de Paris, & de la Société Royale de Londres. 4°. Plusieurs autres terres tirant sur le gris-brun. Il y en a une veine courante sur terre dans la viguerie de Prades en Roussillon, qui a depuis une toise jusqu’à quatre de largeur dans une longueur de près de 4 lieues, & qui est abondante. En général, lorsque le minéral qui contient l’alun a été mis en tas & long-tems exposé à l’air, on voit fleurir l’a-