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rois à la base, & de la base à la pointe de l’axe de ces mêmes canaux ; la force systaltique du genre vasculeux augmente donc dans toute l’étendue ; les parois fortement distendues dans le tems de la systole du cœur réagissent contre le sang, qui les écarte au moment de la diastole ; leur ressort tend à les rapprocher, & son action est égale à la distension qui a précédé.

Il doit résulter de cette impulsion du sang dans les vaisseaux & de cette rétropulsion, une altération considérable dans le tissu de ce fluide ; s’il étoit épais avant cette action, ses parties froissées passent de l’état de condensation à celui de raréfaction, & cette raréfaction répond au degré de densité & de tenacité précédentes ; les molécules collées & rapprochées par une cohésion intime doivent s’écarter, se séparer, s’atténuer, se diviser ; l’air contenu dans ce tissu resserré & condensé tend à se remettre dans son premier état, chaque molécule d’air occupant plus d’espace augmente le volume des molécules du liquide qui l’enferme ; & enfin celles-ci cherchant à se mettre à l’aise, distendent les parois des vaisseaux, ceux-ci augmentent leur réaction, ce qui produit un redoublement dans le mouvement des liquides. Delà viennent la fievre, la chaleur, les lésions de fonctions qui sont extrèmes, & qui ne se terminent que par l’engorgement des parties molles, le déchirement des vaisseaux, les dépôts de la matiere morbifique sur des parties éloignées ou déjà disposées à en recevoir les atteintes, les hémorrhagies dans le poûmon, dans la matrice, les inflammations du bas ventre, de la poitrine & du cerveau. Celles-ci se terminent par des abscès, & la gangrene devient la fin funeste de la cure des maladies entreprise par les alexipharmaques, dans le cas d’un sang ou trop sec ou trop épais.

Mais si le sang est acre, dissous & rarefié, ces remedes donnés dans ce cas sans préparation préliminaire sont encore plus funestes : ils atténuent le sang déjà trop divisé ; ils tendent à exalter les sels acides & alkalins qui devenant plus piquans font l’effet des corrosifs sur les fibres ; ainsi il arrive une fonte des humeurs & une diaphorese trop abondante. Delà une augmentation de chaleur, de sécheresse & de tension. Ces cruels effets seront suivis d’autres encore plus fâcheux.

Les alexipharmaques ne doivent donc pas être donnés de toute main, ni administrés dans toutes sortes de maladies. Les maladies aiguës, surtout dans leur commencement, dans l’état d’acroissement, dans l’acme, doivent être respectées ; & malheur à ceux à qui on donnera ces remedes incendiaires dans ces tems où la nature fait tous ses efforts pour se débarrasser du poids de la maladie qui la surcharge. Ces maladies aiguës où la fievre, la chaleur, la sécheresse, le délire, sont ou au dernier degré, ou même legers, ne permettent point l’usage des alexipharmaques avant d’avoir desempli les vaisseaux ; il faut diminuer la quantité, la raréfaction & l’acrimonie des sels répandus dans les humeurs, avant de les mettre en action. Les saignées, les adoucissans, les délayans, les purgatifs sont donc les préliminaires requis à l’administration des alexipharmaques. Mais ce n’est pas assez d’employer ces précautions générales ; elles doivent être modifiées selon la différence des circonstances que présentent la délicatesse ou la force du tempérament, l’épaississement ou la raréfaction des humeurs, la dissolution & l’acrimonie, ou la viscosité des liqueurs, la secheresse ou la mollesse de la peau, la tension ou la laxité des fibres. Cela étant, l’usage de ces remedes actifs ne sera point si général qu’il l’est, & leur administration ne se fera qu’après un mûr examen de l’état actuel des forces ou oppressées par la quantité des humeurs ou épuisées par la disette & l’acrimonie de ces mêmes humeurs.

Voici des réflexions utiles pour l’administration de ces remedes.

1°. Les alexipharmaques ne pouvant que redoubler la chaleur du corps, doivent être proscrits dans les inflammations, dans la fievre, dans les douleurs vives, dans la tension & l’irritation trop grande. Ainsi ils ne conviennent nullement dans tous les cas où les empyriques les donnent, sans avoir égard à aucune des circonstances énoncées.

2°. On doit les éviter toutes les fois que leur effet ne peut qu’irriter & accélérer le mouvement des liquides déjà trop grand. Ainsi les gens secs, bilieux, dont les humeurs sont adustes & résineuses, doivent en éviter l’usage.

3°. Ces remedes devant agiter le sang, il est bon de ne les administrer que dans les cas où l’on ne craindra point de faire passer les impuretés des premieres voies dans les plus petits vaisseaux. Ainsi on se gardera de les employer avant d’avoir évacué les levains contenus dans les premieres voies, qui se mêlant avec le sang deviendroient plus nuisibles & plus dangereux.

4°. Quoique dans les maladies épidémiques le poison imaginaire fasse soupçonner la nécessité de ces remedes, il faut avoir soin d’employer les humectans avant les incendiaires, & tempérer l’action des alexipharmaques par la douceur & l’aquosité des délayans & des tempérans : ainsi le plus sûr est de les mêler alors dans l’esprit de vinaigre délayé & détrempé avec une suffisante quantité d’eau.

5°. Comme la sueur & la transpiration augmentent par l’usage de ces remedes, il faut se garder de les ordonner avant d’avoir examiné si les malades suent facilement, s’il est expédient de procurer la sueur : ainsi quoique les catarrhes, les rhumes, les péripneumonies, &c. ne viennent souvent que par la transpiration diminuée, il seroit imprudent de vouloir y remédier par les alexipharmaques, avant de sonder le tempérament, le siége & la cause du mal.

Le poumon reçoit sur-tout une terrible atteinte de ces remedes dans la fievre & dans la péripneumonie, car ils ne font qu’augmenter l’engorgement du sang déja formé : aussi voit-on tous les jours périr un nombre infini de malades par cette pratique, aussi pernicieuse que mal raisonnée.

6°. Quoique les sueurs soient indiquées dans bien des maladies, il est cependant bon d’employer avec circonspection les alexipharmaques : le tissu compact de la peau, la chaleur actuelle, l’épaississement des liqueurs, l’obstruction des couloirs, demandent d’autres remedes plus doux & plus appropriés, qui n’étant pas administrés avant les sudorifiques, jettent les malades dans un état affreux, faute d’avoir commencé par les délayans, les tempérans & les apéritifs légers.

7°. Dans les chaleurs excessives de l’été, dans les froids extrèmes, dans les affections cholériques, dans les grandes douleurs, dans les spasmes qui resserrent le tissu des pores, il faut éviter les alexipharmaques, ou ne les donner qu’avec de grands ménagemens.

Les alexipharmaques sont en grand nombre : les trois regnes nous fournissent de ces remedes. Les fleurs cordiales, les tiges & les racines, les graines & les feuilles des plantes aromatiques, sur-tout des ombelliferes, sont les plus grands alexipharmaques du regne végétal. Dans le regne animal, ce sont les os, les cornes, les dents des animaux, & sur-tout du cerf, rapés & préparés philosophiquement ; les différens besoards, les calculs animaux. Dans le regne minéral, les différentes préparations de l’antimoine, le soufre anodyn ou l’éther fait par la dulcification de l’esprit de vitriol avec l’alkool. Les remedes simples tirés des trois regnes sont à l’infini dans la classe des alexipharmaques.