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expliqués suivant leur ordre alphabétique. Il ne s’agit point ici des raisons qui nous ont fait préférer dans cet Ouvrage l’ordre alphabétique à tout autre ; nous les exposerons plus bas, lorsque nous envisagerons cette collection, comme Dictionnaire des Sciences & des Arts.

Au reste, sur la partie de notre travail, qui consiste dans l’ordre encyclopédique, & qui est plus destinée aux gens éclairés qu’à la multitude, nous observerons deux choses : la premiere, c’est qu’il seroit souvent absurde de vouloir trouver une liaison immédiate entre un article de ce Dictionnaire & un autre article pris à volonté ; c’est ainsi qu’on chercheroit en vain par quels liens secrets Section conique peut être rapprochée d’Accusatif. L’ordre encyclopédique ne suppose point que toutes les Sciences tiennent directement les unes aux autres. Ce sont des branches qui partent d’un même tronc, sçavoir de l’entendement humain. Ces branches n’ont souvent entr’elles aucune liaison immédiate, & plusieurs ne sont réunies que par le tronc même. Ainsi Section conique appartient à la Géométrie, la Géométrie conduit à la Physique particuliere, celle-ci à la Physique générale, la Physique générale à la Métaphysique ; & la Métaphysique est bien près de la Grammaire à laquelle le mot Accusatif appartient. Mais quand on est arrivé à ce dernier terme par la route que nous venons d’indiquer, on se trouve si loin de celui d’où l’on est parti, qu’on l’a tout-à-fait perdu de vûe.

La seconde remarque que nous avons à faire, c’est qu’il ne faut pas attribuer à notre Arbre encyclopédique plus d’avantage que nous ne prétendons lui en donner. L’usage des divisions générales est de rassembler un fort grand nombre d’objets : mais il ne faut pas croire qu’il puisse suppléer à l’étude de ces objets mêmes. C’est une espece de dénombrement des connoissances qu’on peut acquérir ; dénombrement frivole pour qui voudroit s’en contenter, utile pour qui desire d’aller plus loin. Un seul article raisonné sur un objet particulier de Science ou d’Art, renferme plus de substance que toutes les divisions & subdivisions qu’on peut faire des termes généraux ; & pour ne point sortir de la comparaison que nous avons tirée plus haut des Cartes géographiques, celui qui s’en tiendroit à l’Arbre encyclopédique pour toute connoissance, n’en sauroit guere plus que celui qui pour avoir acquis par les Mappemondes une idée générale du globe & de ses parties principales, se flatteroit de connoître les différens Peuples qui l’habitent, & les États particuliers qui le composent. Ce qu’il ne faut point oublier sur-tout, en considérant notre Système figuré, c’est que l’ordre encyclopédique qu’il présente est très-différent de l’ordre généalogique des opérations de l’esprit ; que les Sciences qui s’occupent des êtres généraux, ne sont utiles qu’autant qu’elles menent à celles dont les êtres particuliers sont l’objet ; qu’il n’y a véritablement que ces êtres particuliers qui existent ; & que si notre esprit a créé les êtres généraux, ç’a été pour pouvoir étudier plus facilement l’une après l’autre les propriétés qui par leur nature existent à la fois dans une même substance, & qui ne peuvent physiquement être séparées. Ces réflexions doivent être le fruit & le résultat de tout ce que nous avons dit jusqu’ici ; & c’est aussi par elles que nous terminerons la premiere Partie de ce Discours.


Nous allons présentement considérer cet Ouvrage comme Dictionnaire raisonné des Sciences & des Arts. L’objet est d’autant plus important, que c’est sans doute celui qui peut intéresser davantage la plus grande partie de nos lecteurs, & qui, pour être rempli, a demandé le plus de soins & de travail. Mais avant que d’entrer sur ce sujet dans tout le détail qu’on est en droit d’exiger de nous, il ne sera pas inutile d’examiner avec quelque étendue l’état présent des Sciences & des Arts, & de montrer par quelle gradation l’on y est arrivé. L’exposition métaphysique de l’origine & de la liaison des Sciences nous a été d’une grande utilité pour en former l’Arbre encyclopédique ; l’exposition historique de l’ordre dans lequel nos connoissances se sont succédées, ne sera pas moins avantageuse pour nous éclairer nous-mêmes sur la maniere dont nous devons transmettre ces connoissances à nos lecteurs. D’ailleurs l’histoire des Sciences est naturellement liée à celle du petit nombre de grands génies, dont les Ouvrages ont contribué à répandre la lumiere parmi les hommes ; & ces Ouvrages ayant fourni pour le nôtre les secours généraux, nous devons commencer à en parler avant de rendre compte des secours particuliers que nous avons obtenus. Pour ne point remonter trop haut, fixons-nous à la renaissance des Lettres.

Quand on considere les progrès de l’esprit depuis cette époque mémorable, on trouve que ces progrès se sont faits dans l’ordre qu’ils devoient naturellement suivre. On a commencé par l’Érudition, continué par les Belles-Lettres, & fini par la Philosophie. Cet Ordre differe à la vérité de celui que doit observer l’homme abandonné à ses propres lumieres, ou borné au commerce de ses contemporains, tel que nous l’avons principalement considéré dans la premiere Partie de ce Discours : en effet, nous avons fait voir que l’esprit isolé doit rencontrer dans sa route la Philosophie avant les Belles-Lettres. Mais en sortant d’un long intervalle d’ignorance que des siecles de lumiere avoient précédé, la régénéra-