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rein maigre des semences produites par un terrein gras, & alternativement. M. Tull pense au contraire, que toute semence doit être tirée des meilleurs terreins ; opinion, dit M. Duhamel, agitée, mais non démontrée dans son ouvrage. Il ne faut pas penser comme quelques-uns, que les grains changent au point que le froment devienne seigle ou ivraie. Voilà les principes généraux d’agriculture de M. Tull, qui different des autres dans la maniere de semer, dans les labours fréquens, & dans les labours entre les plantes. C’est au tems & aux essais à décider, à moins qu’on n’en veuille croire l’auteur sur ceux qu’il a faits. Nous en rapporterons les effets aux articles Blé, Froment, Sainfoin, &c. & ici nous nous contenterons de donner le jugement qu’en porte M. Duhamel, à qui l’on peut s’en rapporter quand on sait combien il est bon observateur.

Il ne faut pas considérer, dit M. Duhamel, si les grains de blé qu’on met en terre en produisent un plus grand nombre, lorsqu’on suit les principes de M. Tull ; cette comparaison lui seroit trop favorable. Il ne faut pas non plus se contenter d’examiner si un arpent de terre cultivé suivant ses principes, produit plus qu’une même quantité de terre cultivée à l’ordinaire ; dans ce second point de vûe, la nouvelle culture pourroit bien n’avoir pas un grand avantage sur l’ancienne.

Ce qu’il faut examiner, c’est 1°. si toutes les terres d’une ferme cultivées, suivant les principes de M. Tull, produisent plus de grains que les mêmes terres n’en produiroient cultivées à l’ordinaire : 2°. si la nouvelle culture n’exige pas plus de frais que l’ancienne, & si l’accroissement de profit excede l’accroissement de dépense : 3°. si l’on est moins exposé aux accidens qui frustrent l’espérance du Laboureur, suivant la nouvelle méthode que suivant l’ancienne,

A la premiere question, M. Tull répond qu’un arpent produira plus de grain cultivé suivant ses principes, que selon la maniere commune. Distribuez, dit-il, les tuyaux qui sont sur les planches dans l’étendue des plates bandes, & toute la superficie de la terre se trouvera aussi garnie qu’à l’ordinaire : mais mes épis seront plus longs, les grains en seront plus gros, & ma récolte sera meilleure.

On aura peine à croire que trois rangées de froment placées au milieu d’un espace de six piés de largeur, puissent par leur fécondité suppléer à tout ce qui n’est pas couvert ; & peut-être, dit M. Duhamel, M. Tull exagere-t-il : mais il faut considérer que dans l’usage ordinaire il y a un tiers des terres en jachere, un tiers en menus grains, & un tiers en froment ; au lieu que suivant la nouvelle méthode, on met toutes les terres en blé : mais comme sur six piés de largeur on n’en emploie que deux, il n’y a non plus que le tiers des terres occupées par le froment. Reste à savoir si les rangées de blé sont assez vigoureuses, & donnent assez de froment, non-seulement pour indemniser de la récolte des avoines, estimée dans les fermages le tiers de la récolte du froment, mais encore pour augmenter le profit du Laboureur.

A la seconde question, M. Tull répond qu’il en coûte moins pour cultiver ses terres ; & cela est vrai, si l’on compare une même quantité de terre cultivée par l’une & l’autre méthode : mais comme suivant la nouvelle il faut cultiver toutes les terres d’une ferme, & que suivant l’ancienne on en laisse reposer un tiers, qu’on ne donne qu’une culture au tiers des avoines, & qu’il n’y a que le tiers qui est en blés, qui demande une culture entiere, il n’est pas possible de prouver en faveur de M. Tull ; reste à savoir si le profit compensera l’excès de dépense.

C’est la troisieme question ; M. Tull répond que des accidens qui peuvent arriver aux blés, il y en a que rien ne peut prévenir, comme la grêle, les vents,

les pluies & les gelées excessives, certaines gelées accidentelles, les brouillards secs, &c. mais que quant aux causes qui rendent le blé petit & retrait, chardonné, &c. sa méthode y obvie.

Mais voici quelque chose de plus précis : supposez deux fermes de trois cens arpens, cultivées l’une par une méthode, l’autre par l’autre ; le fermier qui suivra la route commune divisera sa terre en trois soles, & il aura une sole de cent arpens en froment, une de même quantité en orge, en avoine, en pois, &c. & la troisieme sole en repos.

Il donnera un ou deux labours au lot des menus grains, trois ou quatre labours au lot qui doit rester en jachere, & le reste occupé par le froment ne sera point labouré. C’est donc six labours pour deux cens arpens qui composent les deux soles en valeur ; ou, ce qui revient au même, son travail se réduit à labourer une fois tous les ans quatre ou six cens arpens.

On paye communément six francs pour labourer un arpent ; ainsi, suivant la quantité de labours que le fermier doit donner à ses terres, il déboursera 2400 ou 3600 liv.

Il faut au moins deux mines & demie de blé, mesure de Petiviers, la mine pesant quatre-vingts livres, pour ensemencer un arpent. Quand ce blé est chotté, il se renfle & il remplit trois mines ; c’est pourquoi l’on dit qu’on seme trois mines par arpent. Nous le supposerons aussi, parce que le blé de semence étant le plus beau & le plus cher, il en résulte une compensation. Sans faire de différence entre le prix du blé de récolte & celui de semence, nous estimons l’un & l’autre quatre liv. la mine ; ainsi il en coûtera 1200 liv. pour les cent arpens.

Il n’y a point de frais pour ensemencer & herser les terres, parce que le laboureur qui a été payé des façons met le blé en terre gratis.

On donne pour scier & voiturer le blé dans la grange six livres par arpent ; ce qui fait pour les cent arpens 600 liv.

Ce qu’il en coûte pour arracher les herbes ou sarcler, varie suivant les années ; on peut l’évaluer à une liv. dix sous par arpent, ce qui fera 150 livres.

Il faut autant d’avoine ou d’orge que de blé pour ensemencer le lot qui produira ces menus grains : mais comme ils sont à meilleur marché, les fermiers ne les estiment que le tiers du froment. 400. liv.

Les frais de semaille se bornent au roulage, qui se paye à raison de dix sous l’arpent. 50 liv.

Les frais de récolte se montent à 200 liv. le tiers des frais de récolte du blé. 200 liv.

Nous ne tiendrons pas compte des fumiers : 1°. parce que les fermiers n’en achetent pas ; ils se contentent du produit de leur fourrage : 2°. ils s’employent dans les deux méthodes, avec cette seule différence que dans la nouvelle méthode on fume une fois plus de terre que dans l’ancienne.

Les frais de fermage sont les mêmes de part & d’autre, ainsi que les impôts : ainsi la dépense du fermier qui cultive trois cens arpens de terre à l’ordinaire, se monte à 5000 liv. s’il ne donne que trois façons à ses blés, & une à ses avoines ; ou à 6200 liv. s’il donne quatre façons à ses blés, & deux à ses avoines.

Voyons ce que la dépouille de ses terres lui donnera. Les bonnes terres produisant environ cinq fois la semence, il aura donc quinze cens mines, ou 6000 livres.

La récolte des avoines étant le tiers du froment, lui donnera 2000 liv.

Et sa récolte totale sera de 8000 liv. ôtez 5000 liv. de frais, reste 3000 liv. sur quoi il faudroit encore ôter 1200 liv. s’il avoit donné à ses terres plus de quatre façons.

On suppose que la terre a été cultivée pendant