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d’ailleurs, le blé succede mieux à l’avoine dans une terre qu’à l’orge. Quoi qu’il en soit de cette question, sur laquelle les Botanistes peuvent encore s’exercer, M. Duhamel prouve qu’un des principaux avantages qu’on se procure en laissant les terres sans les ensemencer pendant l’année de jachere, consiste à avoir assez de tems pour multiplier les labours autant qu’il est nécessaire pour détruire les mauvaises herbes, pour ameublir & soulever la terre, en un mot pour la disposer à recevoir le plus précieux & le plus délicat de tous les grains, le froment : d’où il s’ensuit qu’on auroit beau multiplier les labours dans une terre, si on ne laissoit des intervalles convenables entre ces labours, on ne lui procureroit pas un grand avantage. Quand on a renversé le chaume & l’herbe, il faut laisser pourrir ces matieres, laisser la terre s’imprégner des qualités qu’elle peut recevoir des météores, sinon s’exposer par un travail précipité à la remettre dans son premier état. Voilà donc deux conditions ; la multiplicité des labours, sans laquelle les racines ne s’étendant pas facilement dans les terres, n’en tireroient pas beaucoup de sucs ; des intervalles convenables entre ces labours, sans lesquels les qualités de la terre ne se renouvelleroient point. A ces conditions il en faut ajoûter deux autres ; la destruction des mauvaises herbes, ce qu’on obtient par les labours fréquens ; & le juste rapport entre la quantité de plantes & la faculté qu’a la terre pour les nourrir.

Le but des labours fréquens, c’est de diviser les molécules de la terre ; d’en multiplier les pores, & d’approcher des plantes plus de nourriture : mais on peut encore obtenir cette division par la calcination & par les fumiers. Les fumiers alterent toûjours un peu la qualité des productions ; d’ailleurs on n’a pas du fumier autant & comme on veut, au lieu qu’on peut multiplier les labours à discrétion sans altérer la qualité des fruits. Les fumiers peuvent bien fournir à la terre quelque substance : mais les labours réitérés exposent successivement différentes parties de la terre aux influences de l’air, du soleil & des pluies, ce qui les rend propres à la végétation.

Mais les terres qui ont resté long-tems sans être ensemencées, doivent être labourées avec des précautions particulieres, dont on est dispensé quand il s’agit de terres qui ont été cultivées sans interruption. M. Tull fait quatre classes de ces terres : 1°. celles qui sont en bois ; 2°. celles qui sont en landes ; 3°. celles qui sont en friche ; 4°. celles qui sont trop humides. M. Tull remarque que quand la rareté du bois n’auroit pas fait cesser la coûtume de mettre le feu à celles qui étoient en bois pour les convertir en terres labourables, il faudroit s’en départir ; parce que la fouille des terres qu’on est obligé de faire pour enlever les souches, est une excellente façon que la terre en reçoit, & que l’engrais des terres par les cendres est sinon imaginaire, du moins peu efficace. 2°. Il faut, selon lui, brûler toutes les mauvaises productions des landes vers la fin de l’été, quand les herbes sont desséchées, & recourir aux fréquens labours. 3°. Quant aux terres en friche, ce qui comprend les sainfoins, les lusernes, les trefles, & généralement tous les prés, avec quelques terres qu’on ne laboure que tous les huit ou dix ans, il ne faut pas se contenter d’un labour pour les prés, il faut avec une forte charrue à versoir commencer par en mettre la terre en grosses mottes, attendre que les pluies d’automne ayent brisé ces mottes, que l’hyver ait achevé de les détruire, & donner un second labour, un troisieme, &c. en un mot ne confier du froment à cette terre que quand les labours l’auront assez affinée. On brûle les terres qui ne se labourent que tous les dix ans ; & voici comment on s’y prend : on coupe toute la surface en pieces les plus régulieres qu’on

peut, comme on les voit en aaa (fig. 1. Pl. d’agriculture) de huit à dix pouces en quarré sur deux à trois doigts d’épaisseur : on les dresse ensuite les unes contre les autres, comme on voit en bbb (fig. 2.) Quand le tems est beau, trois jours suffisent pour les dessécher : on en fait alors des fourneaux. Pour former ces fourneaux, on commence par élever une petite tour cylindrique, afb (fig. 3.) d’un pié de diametre. Comme la muraille de la petite tour est faite avec des gasons, son épaisseur est limitée par celle des gasons : on observe de mettre l’herbe en-dedans, & d’ouvrir une porte f d’un pié de largeur, du côté que souffle le vent. On place au-dessus de cette porte un gros morceau de bois qui sert de lintier. On remplit la capotte de la tour de bois sec mêlé de paille, & l’on acheve le fourneau avec les mêmes gasons en dôme, comme on voit (fig. 4.) en e d. Avant que la voûte soit entierement fermée, on allume le bois, puis on ferme bien vîte la porte d, fermant aussi avec des gasons les crevasses par où la fumée sort trop abondamment.

On veille aux fourneaux jusqu’à ce que la terre paroisse embrasée ; on étouffe le feu avec des gasons, si par hasard il s’est formé des ouvertures, & l’on rétablit le fourneau. Au bout de 24 à 28 heures le feu s’éteint & les mottes sont en poudre, excepté celles de dessus qui restent quelque fois crues, parce qu’elles n’ont pas senti le feu. Pour éviter cet inconvénient, il n’y a qu’à faire les fourneaux petits : on attend que le tems soit à la pluie, & alors on répand la terre cuite le plus uniformément qu’on peut, excepté aux endroits où étoient les fourneaux. On donne sur le champ un labour fort léger ; on pique davantage les labours suivans ; si l’on peut donner le premier labour en Juin, & s’il est survenu de la pluie, on pourra tout d’un coup retirer quelque profit de la terre, en y semant du millet, des raves, &c. ce qui n’empêchera pas de semer du seigle ou du blé l’automne suivant. Il y en a qui ne répandent leur terre brûlée qu’immédiatement avant le dernier labour. M. Tull blâme cette méthode malgré les soins qu’on prend pour la faire réussir ; parce qu’il est très avantageux de bien mêler la terre brûlée avec le terrein. 4°. On égouttera les terres humides par un fossé qui sera pratiqué sur les côtés, ou qui la refendra. M. Tull expose ensuite les différentes manieres de labourer : elles ne different pas de celles dont nous avons parlé plus haut : mais voici où son système va s’éloigner le plus du système commun. Je propose, dit M. Tull, de labourer la terre pendant que les plantes annuelles croissent, comme on cultive la vigne & les autres plantes vivaces. Commencez par un labour de huit à dix pouces de profondeur ; servez-vous pour cela d’une charrue à quatre coutres & d’un soc fort large : quand votre terre sera bien préparée, semez : mais au lieu de jetter la graine à la main & sans précaution, distribuez-la par rangées, suffisamment écartées les unes des autres. Pour cet effet ayez mon semoir. Nous donnerons à l’article Semoir la description de cet instrument. A mesure que les plantes croissent, labourez la terre entre les rangées ; servez-vous d’une charrue légere. V. à l’art. Charrue la description de celle-ci. M. Tull se demande ensuite s’il faut plus de grains dans les terres grasses que dans les terres maigres, & son avis est qu’il en faut moins où les plantes deviennent plus vigoureuses.

Quand au choix des semences, il préfere le nouveau froment au vieux. Nos fermiers trempent leurs blés dans l’eau de chaux : il faut attendre des expériences nouvelles pour savoir s’ils ont tort ou raison ; & M. Duhamel nous les a promises. On estime qu’il est avantageux de changer de tems en tems de semence, & l’expérience justifie cet usage. Les autres Auteurs prétendent qu’il faut mettre dans un ter-