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stantif est si peu indifférente, qu’elle change quelquefois entierement la valeur du substantif : en voici des exemples bien sensibles.

C’est une nouvelle certaine, c’est une chose certaine, c’est-à-dire, assûrée, véritable, constante. J’ai appris certaine nouvelle ou certaines choses ; alors certaine répond au quidam des Latins, & fait prendre le substantif dans un sens vague & indéterminé.

Un honnête-homme est un homme qui a des mœurs, de la probité & de la droiture. Un homme honnête est un homme poli, qui a envie de plaire : les honnêtes gens d’une ville, ce sont les personnes de la ville qui sont au-dessus du peuple, qui ont du bien, une réputation integre, une naissance honnête, & qui ont eu de l’éducation : ce sont ceux dont Horace dit, quibus est equus & pater & res.

Une sage-femme est une femme qui est appellée pour assister les femmes qui sont en travail d’enfant. Une femme sage est une femme qui a de la vertu & de la conduite.

Vrai a un sens différent, selon qu’il est placé, avant ou après un substantif : Gilles est un vrai charlatan, c’est-à-dire qu’il est réellement charlatan ; c’est un homme vrai, c’est-à-dire véridique ; c’est une nouvelle vraie, c’est-à-dire véritable.

Gentilhomme est un homme d’extraction noble ; un homme gentil est un homme gai, vif, joli, mignon.

Petit-maître, n’est pas un maître petit ; c’est un pauvre homme, se dit par mépris d’un homme qui n’a pas une sorte de mérite, d’un homme qui néglige ou qui est incapable de faire ce qu’on attend de lui ; & ce pauvre homme peut être riche ; au lieu qu’un homme pauvre est un homme sans bien.

Un homme galant n’est pas toujours un galant-homme : le premier est un homme qui cherche à plaire aux dames, qui leur rend de petits soins ; au lieu qu’un galant-homme est un honnête-homme, qui n’a que des procédés simples.

Un homme plaisant est un homme enjoüé, folatre, qui fait rire ; un plaisant homme se prend toûjours en mauvaise part ; c’est un homme ridicule, bisarre, singulier, digne de mépris. Une femme grosse, c’est une femme qui est enceinte. Une grosse femme est celle dont le corps occupe un grand volume, qui est grasse & replette. Il ne seroit pas difficile de trouver encore de pareils exemples.

A l’égard du genre, il faut observer qu’en Grec & en Latin, il y a des adjectifs qui ont au nominatif trois terminaisons, καλός, καλή, καλόν, bonus, bona, bonum ; d’autres n’ont que deux terminaisons dont la premiere sert pour le masculin & le féminin, & la seconde est consacrée au genre neutre, ὁ καὶ ἡ ἐυδαίμων heureux ; & en latin hic & hæc fortis & hoc forte, fort. Clenard & le commun des Grammairiens Grecs disent qu’il y a aussi en Grec des adjectifs qui n’ont qu’une terminaison pour les trois genres : mais la savante méthode Greque de P. R. assure que les Grecs n’ont point de ces adjectifs, liv. I. ch. ix. regle XIX. avertissement. Les Latins en ont un grand nombre, prudens, felix, ferax, tenax, &c.

En François nos adjectifs sont terminés : 1°. ou par un e muet, comme sage, fidele, utile, facile, habile, timide, riche, aimable, volage, troisieme, quatrieme, &c. alors l’adjectif sert également pour le masculin & pour le féminin ; un amant fidele, une femme fidele. Ceux qui écrivent fidel, util, font la même faute que s’ils écrivoient sag au lieu de sage, qui se dit également pour les deux genres.

2°. Si l’adjectif est terminé dans sa premiere dénomination par quelqu’autre lettre que par un e muet, alors cette premiere terminaison sert pour le genre masculin : pur, dur, brun, savant, fort, bon.

A l’égard du genre féminin, il faut distinguer :

ou l’adjectif finit au masculin par une voyelle, ou il est terminé par une consonne.

Si l’adjectif masculin finit par toute autre voyelle que par un e muet, ajoûtez seulement l’e muet après cette voyelle, vous aurez la terminaison féminine de l’adjectif : sensé, sensée ; joli, jolie ; bourru, bourrue.

Si l’adjectif masculin finit par une consonne, détachez cette consonne de la lettre qui la précede, & ajoûtez un e muet à cette consonne détachée, vous aurez la terminaison féminine de l’adjectif : pur, pu-re ; saint, sain-te ; sain, sai-ne ; grand, grande ; sot, so-te ; bon, bo-ne.

Je sai bien que les Maîtres à écrire, pour multiplier les jambages dont la suite rend l’écriture plus unie & plus agréable à la vûe, ont introduit une seconde n dans bo-ne, comme ils ont introduit une m dans ho-me : ainsi on écrit communément bonne, homme, honneur, &c. mais ces lettres redoublées sont contraires à l’analogie, & ne servent qu’à multiplier les difficultés pour les étrangers & pour les gens qui apprennent à lire.

Il y a quelques adjectifs qui s’écartent de la regle : en voici le détail.

On disoit autrefois au masculin bel, nouvel, sol, mol, & au féminin selon la regle, belle, nouvelle, folle, molle ; ces féminins se sont conservés : mais les masculins ne sont en usage que devant une voyelle ; un bel homme, un nouvel amant, un fol amour : ainsi beau, nouveau, fou, mou, ne forment point de féminin : mais Espagnol est en usage, d’où vient Espagnole ; selon la regle générale, blanc fait blanche ; franc, franche ; long fait longue ; ce qui fait voir que le g de long est le g fort que les Modernes appellent gue : il est bon dans ces occasions d’avoir recours à l’analogie qu’il y a entre l’adjectif & le substantif abstrait : par exemple, longueur, long, longue ; douceur, doux, douce ; jalousie, jaloux, jalouse ; fraîcheur, frais, fraîche ; sécheresse, sec, seche.

Le f & le v sont au fond la même lettre divisée en forte & en foible ; le f est la forte, & le v est la foible : de-là naïf, naive ; abusif, abusive ; chétif, chétive ; défensif, défensive ; passif, passive ; négatif, négative ; purgatif, purgative, &c.

On dit mon, ma ; ton, ta ; son, sa : mais devant une voyelle on dit également au féminin mon, ton, son ; mon ame, ton ardeur, son épée : ce que le méchanisme des organes de la parole a introduit pour éviter le bâillement qui se feroit à la rencontre des deux voyelles, ma ame, ta épée, sa épouse ; en ces occasions, son, ton, mon, sont féminins, de la même maniere que mes, tes, ses, les, le sont au plurier, quand on dit, mes filles, les femmes, &c.

Nous avons dit que l’adjectif doit avoir la terminaison qui convient au genre que l’usage a donné au substantif : sur quoi on doit faire une remarque singuliere, sur le mot gens ; on donne la terminaison féminine à l’adjectif qui précede ce mot, & la masculine à celle qui le suit, fût-ce dans la même phrase : il y a de certaines gens qui sont bien sots.

A l’égard de la formation du plurier, nos anciens Grammairiens disent qu’ajoûtant s au singulier, nous formons le plurier, bon, bons. (Acheminement à la Langue Françoise par Jean Masset.) Le même Auteur observe que les noms de nombre qui marquent pluralité, tels que quatre, cinq, six, sept, &c. ne reçoivent point s, excepté vingt & cent, qui ont un plurier : quatre-vingts ans, quatre cens hommes.

Telle est aussi la regle de nos Modernes : ainsi on écrit au singulier bon, & au plurier bons ; fort au singulier, forts au plurier ; par conséquent puisqu’on écrit au singulier gâté, gâtée, on doit écrire au plurier gâtés, gâtées, ajoûtant simplement l’s au plurier