Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 1.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les siennes. La force inconnue, quelle qu’elle puisse être, qui met les parties des corps animés en mouvement, paroît produire un plus grand effet dans le fœtus que dans l’adulte, dans lequel tous les organes des sensations s’endurcissent, tandis qu’ils sont extrèmement tendres & sensibles dans le fœtus. Telles sont l’œil, l’oreille, la peau, le cerveau même. Ceci ne peut-il pas encore s’expliquer, en ce que le fœtus a la tête plus grosse, par le rapport plus grand des nerfs des jeunes animaux au reste de leurs parties ?

Ne doit-il donc pas arriver que le cœur faisant effort contre les vaisseaux muqueux il les étende aisément, de même que le tissu cellulaire qui les environne, & les fibres musculaires arrosées par des vaisseaux ? Or toutes ces parties cedent facilement,parce qu’elles renferment peu de terre, & qu’au contraire elles sont chargées de beaucoup de gluten qui s’unit & qui se prête aisément. L’ossification doit donc se faire lorsque le suc gelatineux renfermé entre deux vaisseaux paralleles, devient osseux à la suite du battement réiteré de ces vaisseaux. Les os s’accroissent lorsque les vaisseaux placés le long de leurs fibres viennent à être étendus par le cœur ; ces vaisseaux en effet entraînent alors avec eux les fibres osseuses, ils les allongent, & elles repoussent les cartilages qui limitent les os & toutes les autres parties qui, quoique cellulaires, sont cependant élastiques. Ces fibres s’étendent entre leurs épiphyses, de sorte qu’elles les rendent plus courtes, mais plus solides. Tel est le méchanisme par lequel les parties du corps s’allongent, & par lequel il se forme des intervalles entre les fibres osseuses, cellulaires & terreuses qui se sont allongées. Ces intervalles sont remplis par les liquides, qui sont plus visqueux & plus gelatineux dans les jeunes animaux que les adultes. Ces liquides contractent donc plus facilement des adhérences, & se moulent sur les petites cavités dans lesquelles ils entrent. La souplesse des os dans le fœtus, la facilité avec laquelle ils se consolident, la plus grande abondance du suc glutineux & de l’humeur gelatineuse dans les membres des jeunes animaux, & le rapport des cartilages aux grands os, font voir que les os dans les jeunes sujets sont d’une nature plus visqueuse que dans les vieillards : mais plus l’animal approche de l’adolescence, & plus l’accroissement se fait lentement. La roideur des parties qui étoient souples & flexibles dans le fœtus ; la plus grande partie des os qui auparavant n’étoient que des cartilages, en sont des preuves. En effet, plusieurs vaisseaux s’affaissant à la suite du battement des gros troncs qui leur sont voisins, ou dans les membranes desquels ils se distribuent, ces vaisseaux sont remplacés par des parties solides qui ont beaucoup plus de consistance. Effectivement le suc osseux s’écoule entre les fibres osseuses ; toutes les membranes & les tuniques des vaisseaux sont formées d’un tissu cellulaire plus épais : d’ailleurs, une grande quantité d’eau s’évaporant de toutes les parties, les filets cellulaires se rapprochent, ils s’attirent avec plus de force, ils s’unissent plus étroitement, ils résistent davantage à leur séparation ; l’humeur glaireuse, qui est adhérente aux os & aux parties solides, se seche ; la compression des arteres & des muscles dissipe le principe aqueux : les parties terreuses sont en conséquence dans un plus grand rapport avec les autres.

Toutes ces choses se passent ainsi jusqu’à ce que les forces du cœur ne soient plus suffisantes pour étendre les solides au-delà. Ceci a lieu lorsque les épiphyses cartilagineuses dans les os longs, se sont insensiblement diminuées au point qu’elles ne peuvent l’être davantage, & que devenues extrèmement minces & très-dures, elles se résistent à elles-mêmes, & au cœur en même tems. Or comme la même cause agit de même sur toutes les parties du corps, si on

en excepte un petit nombre, tout le tissu cellulaire, toutes les membranes des arteres, les fibres musculaires, les nerfs, doivent acquérir insensiblement la consistance qu’ils ont par la suite, & devenir tels que la force du cœur ne soit plus capable de les étendre.

Cependant le tissu cellulaire lâche & entrecoupé de plusieurs cavités, se prête dans différens endroits à la graisse qui s’y insinue, & quelquefois au sang : ce tissu se gonfle dans différentes parties ; ainsi quoiqu’on ne croisse plus, on ne laisse pas de grossir. Il paroît que cela arrive, parce que l’accroissement n’ayant plus lieu, il se sépare du sang une plus petite quantité de sucs nourriciers, il reste plus de matiere pour les secrétions ; la résistance que trouve le sang dans les plus petits vaisseaux, devient plus grande par leur endurcissement : les secrétions lentes doivent alors être plus abondantes, le rapport de la force du cœur étant moindre, puisque la roideur des parties augmente la résistance, & que d’ailleurs la force du cœur ne paroît pas devenir plus grande. En effet, le cœur est un muscle qui tire principalement sa force de sa souplesse, de la grande quantité du suc nerveux qui s’y distribue, eu égard à la solidité de la partie rouge du sang, (comme nous le dirons ailleurs). Or bien loin que la vieillesse augmente toutes ces choses, elle les diminue certainement : ainsi le corps humain n’a point d’état fixe, comme on le pourroit penser. Quelques vaisseaux sont continuellement détruits & se changent en fibres d’autant plus solides, que la pression du poids des muscles & du cœur a plus de force dans différentes parties : c’est pour cela que les parties dont les ouvriers se servent plus fréquemment se roidissent ; le tissu cellulaire devient aussi continuellement plus épais, plus dur ; l’humeur glutineuse plus seche & plus terreuse ; les os des vieillards deviennent en conséquence roides ; les cartilages s’ossifient. Lorsque le gluten, dont toutes les parties tiennent leur souplesse, vient à être détruit, elles deviennent dures, le tissu cellulaire même du cerveau, du cœur, des arteres, sont dans ce cas ; la pesanteur spécifique des différentes parties du corps devient plus grande, & même celle du crystallin : enfin la force attractive des particules glutineuses des liqueurs du corps humain diminue par les alimens salés dont on a fait usage, par les boissons inflammables, par les excès de tout genre. Le sang dégénere donc en une masse friable,acre, & qui n’est point gelatineuse : c’est ce que font voir la lenteur des cicatrices des plaies & des fractures, la mauvaise odeur de l’haleine, de l’urine, la plus grande quantité des sels du sang, la diminution de sa partie aqueuse, & l’opacité des humeurs qui étoient autrefois transparentes.

C’est pourquoi les ligamens intervertébraux venant à se sécher, à se durcir, & à s’ossifier, ils rapprochent insensiblement en devant les vertebres les unes des autres ; on devient plus petit & tout courbé. Les tendons deviennent très-transparens, très durs & cartilagineux, lorsque le gluten qui étoit dans l’interstice de leurs fibres est presque détruit. Les fibres musculaires, les vaisseaux, & surtout les arteres, deviennent plus dures, l’eau qui les rendoit molles étant dissipée : elles s’ossifient même quelquefois. Le tissu cellulaire lâche se contracte, forme des membranes d’une tissure plus serrée : les vaisseaux excréteurs sont en conséquence comprimés de part & d’autre, & leurs petits orifices se ferment : la sécheresse des parties diminue donc les secrétions nécessaires du sang, les parties se roidissent, la température du sang devient plus seche & plus terreuse ; de maniere qu’au lieu de l’humeur que le sang déposoit auparavant dans toutes les parties du corps, il n’y porte plus qu’une vraie terre, comme on le sait par les endurcissemens qui arrivent, par les croûtes