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rées dans l’usage de la vie ; il ne prétendoit pas qu’elles fussent assez claires pour pouvoir être comprises.

Il s’ensuit de-là qu’il n’y avoit pas même de diversité de sentimens entr’eux, lorsque Carnéade permettoit à l’homme sage d’avoir des opinions, & peut-être même de donner quelquefois son consentement ; & lorsqu’Arcésilas défendoit l’un & l’autre, Carnéade prétendoit seulement que l’homme sage devoit se servir des choses probables dans le commun usage de la vie, & sans lesquelles on ne pourroit vivre, mais non pas dans la conduite de l’esprit, & dans la recherche de la vérité, d’où seulement Arcésilas bannissoit l’opinion & le consentement. Tous leurs différends ne consistoient donc que dans les expressions, mais non dans les choses mêmes.

Philon disciple de Clitomaque, qui l’avoit été de Carnéade, pour s’être éloigné sur de certains points des sentimens de ce même Carnéade, mérita d’être appellé avec Charmide, fondateur de la quatrieme Académie. Il disoit que les choses sont compréhensibles par elles-mêmes, mais que nous ne pouvons pas toutefois les comprendre.

Antiochus fut fondateur de la cinquieme Académie : il avoit été disciple de Philon pendant plusieurs années, & il avoit soûtenu la doctrine de Carnéade : mais enfin il quitta le parti de ses Maîtres sur ses vieux jours, & fit repasser dans l’Académie les dogmes des Stoïciens qu’il attribuoit à Platon, soûtenant que la doctrine des Stoïciens n’étoit point nouvelle, mais qu’elle étoit une réformation de l’ancienne Académie. Cette cinquieme Académie ne fut donc autre chose qu’une association de l’ancienne Académie & de la Philosophie des Stoïciens ; ou plûtôt c’étoit la Philosophie même des Stoïciens, avec l’habit & les livrées de l’ancienne Académie, je veux dire, de celle qui fut florissante sous Platon & sous Arcésilas.

Quelques-uns ont prétendu qu’il n’y a eu qu’une seule Académie ; car, disent-ils, comme plusieurs branches qui sortent d’un même tronc, & qui s’étendent vers différens côtés, ne sont pas des arbres différens ; de même toutes ces sectes, qui sont serties de ce tronc unique de la doctrine de Socrate, que l’homme ne sait rien, quoique partagées en diverses écoles, ne sont cependant qu’une seule Académie. Mais si nous y regardons de plus près, il se trouve une telle différence entre l’ancienne & la nouvelle Académie, qu’il faut nécessairement reconnoître deux Académies : l’ancienne, qui fut celle de Socrate & d’Antiochus ; & la nouvelle, qui fut celle d’Arcésilas, de Carnéade, & de Philon. La premiere fut dogmatique dans quelques points ; on y respecta du moins les premiers principes & quelques vérités morales, au lieu que la nouvelle se rapprocha presque entierement du Scepticisme. Voyez Scepticiens. (X)

ACADÉMIE, s. f. C’étoit dans l’antiquité un jardin ou une maison située dans le Céramique, un des fauxbourgs d’Athenes, à un mille ou environ de la ville, où Platon & ses sectateurs tenoient des assemblées pour converser sur des matieres philosophiques. Cet endroit donna le nom à la secte des Académiciens. Voyez Académicien.

Le nom d’Académie fut donné à cette maison, à cause d’un nommé Académus ou Écadémus, citoyen d’Athenes, qui en étoit possesseur & y tenoit une espece de gymnase. Il vivoit du tems de Thésée. Quelques-uns ont rapporté le nom d’Académie à Cadmus qui introduisit le premier en Grece les Lettres & les Sciences des Phéniciens : mais cette étymologie est d’autant moins fondée, que les Lettres dans cette premiere origine furent trop foiblement cultivées pour qu’il y eût de nombreuses assemblées de Savans.

Cimon embellit l’Académie & la décora de fontaines, d’arbres, & de promenades, en faveur des

Philosophes & des Gens de Lettres qui s’y rassembloient pour conférer ensemble & pour y disputer sur différentes matieres, &c. C’étoit aussi l’endroit où l’on enterroit les Hommes illustres qui avoient rendu de grands services à la République. Mais dans le siége d’Athenes, Sylla ne respecta point cet asyle des beaux arts ; & des arbres qui formoient les promenades, il fit faire des machines de guerre pour battre la Place.

Cicéron eut aussi une maison de campagne ou un lieu de retraite près de Pouzole, auquel il donna le nom d’Académie, où il avoit coûtume de converser avec ses amis qui avoient du goût pour les entretiens philosophiques. Ce fut-là qu’il composa ses Questions académiques, & ses Livres sur la nature des Dieux.

Le mot Académie signifie aussi une secte de Philosophes qui soûtenoient que la vérité est inaccessible à notre intelligence, que toutes les connoissances sont incertaines, & que le sage doit toûjours douter & suspendre son jugement, sans jamais rien affirmer ou nier positivement. En ce sens l’Académie est la même chose que la secte des Académiciens. Voyez Académicien.

On compte ordinairement trois Académies ou trois sortes d’Académiciens, quoiqu’il y en ait cinq suivant quelques-uns. L’ancienne Académie est celle dont Platon étoit le chef. Voyez Platonisme.

Arcésilas, un de ses successeurs, en introduisant quelques changemens ou quelques altérations dans la Philosophie de cette secte, fonda ce que l’on appelle la seconde Académie. C’est cet Arcésilas principalement qui introduisit dans l’Académie le doute effectif & universel.

On attribue à Lacyde, ou plûtôt à Carnéade, l’établissement de la troisieme, appellée aussi la nouvelle Académie, qui reconnoissant que non seulement il y avoit beaucoup de choses probables, mais aussi qu’il y en avoit de vraies & d’autres fausses, avoüoit néanmoins que l’esprit humain ne pouvoit pas bien les discerner.

Quelques-autres en ajoûtent une quatrieme fondée par Philon, & une cinquieme par Antiochus, appellée l’Antiochéene, qui tempéra l’ancienne Académie avec les opinions du Stoïcisme. Voyez Stoicisme.

L’ancienne Académie doutoit de tout ; elle porta même si loin ce principe, qu’elle douta si elle devoit douter. Ceux qui la composoient eurent toûjours pour maxime de n’être jamais certains, ou de n’avoir jamais l’esprit satisfait sur la vérité des choses, de ne jamais rien affirmer, ou de ne jamais rien nier, soit que les choses leur parussent vraies, soit qu’elles leur parussent fausses. En effet, ils soûtenoient une acatalepsie absolue, c’est-à-dire, que quant à la nature ou à l’essence des choses, l’on devoit se retrancher sur un doute absolu. Voyez Acatalepsie.

Les sectateurs de la nouvelle Académie étoient un peu plus traitables : ils reconnoissoient plusieurs choses comme vraies, mais sans y adhérer avec une entiere assûrance. Ils avoient éprouvé que le commerce de la vie & de la société étoit incompatible avec le doute universel & absolu qu’affectoit l’ancienne Académie. Cependant il est visible que ces choses mêmes dont ils convenoient, ils les regardoient plûtôt comme probables que comme certaines & déterminément vraies : par ces correctifs, ils comptoient du moins éviter les reproches d’absurdité faits à l’ancienne Académie. Voyez Doute. Voyez aussi les Questions Académiques de Cicéron, où cet Auteur réfute avec autant de force que de netteté les sentimens des Philosophes de son tems, qui prenoient le titre de sectateurs de l’ancienne &