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Mémoire des Libraires associés à l’ENCYCLOPÉDIE

sur les motifs de la suspension actuelle de cet ouvrage


L’empire des lettres est, comme les corps politiques, exposé de temps en temps à des agitations qui se succèdent & se renouvellent. Il semble qu’il faille toujours un objet subsistant &, pour ainsi dire, de mode, qui serve à alimenter l’activité des esprits, à amuser des gens désœuvrés ou indifférents, & à satisfaire ceux qui cherchent à se faire un nom dans le genre critique.

Souvent un ouvrage passager suffit pour partager les esprits. L’Encyclopédie annoncée comme devant être l’Histoire générale des arts & des sciences depuis l’établissement des lettres, a offert à ses adversaires un corps plus solide à attaquer ; elle a été exposée dès sa naissance à toutes les traverses que les passions ou les divers intérêts peuvent enfanter. On a cherché à la noircir par les imputations les plus odieuses. Les ridicules de toute espèce ont été joints aux accusations les plus graves ; & l’on a vu paraître un déluge de brochures passionnées, plus propres à soulever les esprits qu’à les eclairer.

Le but de ces critiques a-t-il été de renverser un vaste édifice dont les fondements avaient coûté tant de soins & de dépense ? On ne les soupçonnera pas d’avoir conçu un projet aussi préjudiciable aux lettres & à la nation ; du moins ils n’oseraient l’avouer publiquement.

Se sont-ils flattés simplement de lasser le courage & la persévérance de nos éditeurs ? C’est encore ce qu’ils n’oseraient avouer. L’Encyclopédie est un livre sur lequel l’Europe entière a des droits, & qui doit éprouver la protection la plus marquée contre les fausses accusations.

Des animosités particulières contre quelques-uns des auteurs, occasionnées par la vivacité peut-être trop grande avec laquelle ils ont repoussé les premières attaques ; des mouvements intérieurs de jalousie qui ont rendu antagonistes de l’ouvrage des gens de lettres, qui ne devaient pas en être les coopérateurs ; la révolte enfin de l’amour-propre blessé du ton de décision & de supériorité attribué aux encyclopédistes, sont la cause & l’origine de toutes les clameurs.