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Si l’on considère l’Encyclopédie par rapport aux arts & aux sciences en général, on ne balancera point à décider que son interruption ne devînt préjudiciable au progrès des lettres & à l’esprit humain.

En effet, si une censure amère s’est appliquée à relever dans cet ouvrage quelques endroits défectueux, on ne saurait disconvenir qu’il ne s’y trouve des morceaux qui effacent par leur nombre & par leur mérite les taches dont on s’est efforcé de l’obscurcir. Quel que soit le nombre des articles critiqués, & des expressions faibles, impropres ou hasardées, les articles respectés par l’envie même, n’offrent-ils pas une collection considérable de sciences, & un fond de richesses réelles ? Ce recueil contient une très grande quantité d’articles qui n’existaient nulle part & qui n’auraient jamais paru sans la noble émulation qui a animé les coopérateurs. Des curieux, des amateurs recommandables, ont bien voulu enrichir le public des connaissances qu’ils avaient cultivées dans le secret de leur cabinet. La France entière a vu avec plaisir la naissance & les progrès d’une entreprise aussi honorable pour elle qu’utile aux lettres. Tout ce qu’il y a de plus respectable chez l’étranger par le rang & par le savoir, a fait l’accueil le plus favorable à notre projet, on s’est empressé de se procurer l’ouvrage ; & nos engagements à cet égard ont été contractés sous le sceau, pour ainsi dire, de l’autorité publique. D’après cela, nous osons dire avec confiance que l’honneur de la nation est lié au soutien & à la consommation de l’Encyclopédie entreprise sous de si favorables auspices.

Il est fort naturel que nous nous montrions jaloux de voir arriver à sa perfection un vaste édifice dont nous avons préparé les fondements avec autant de frais que de soins & d’appareil. En effet, c’est nous qui avons, pour ainsi dire, donné l’être à cet ouvrage, par l’idée que nous avons conçue les premiers de la traduction de l’Encyclopédie anglaise, & de l’amélioration dont elle était susceptible ; projet fort étendu dans la suite par les savants sur lesquels nous avons jeté les yeux, & que la voix publique nous avait indiqués d’avance. Cette entreprise est la plus considérable qui se soit encore formée dans la librairie. Elle exigeait une application infinie, des soins journaliers, & un courage à toute épreuve. Nous avons fait des pertes considérables avant que de proposer des souscriptions ; nous avons même couru les risques de voir échouer nos projets par des traverses & des incidents dont la plus grande partie sera toujours ignorée du public. Enfin, après douze ans & plus de travaux & de sollicitudes, l’espoir d’un heureux avenir soutenait notre patience. Mais lorsque nous croyons toucher au terme désiré, la passion se ranime, & nous enlève les instruments nécessaires à l’entière exécution d’un ouvrage qui depuis longtemps est l’objet des vœux du public & des nôtres.

L’Encyclopédie offre aussi des points importants d’utilité, en la considérant comme une simple branche de commerce ; elle consomme le travail de nos manufactures, elle entretient & fait vivre un grand nombre d’ouvriers différents. Par cette entreprise nous enlevons à l’étranger le droit de nous vendre cher ses connaissances ; & en les recueillant dans le sein du royaume, nous y procurons l’introduction d’un argent qui augmente les richesses de l’État.

Enfin (& cette dernière réflexion intéresse également les lettres, le public, & toute la librairie du royaume) l’anéantissement d’un ouvrage présenté avec tout ce qui peut