Page:Diderot - Encyclopédie I (Lettre A) (Extrait Mémoire des libraires associés), 1976.djvu/12

Cette page n’a pas encore été corrigée

perte en pareil cas : mais nos éditeurs singulièrement nous sont d’une nécessité indispensable ; & nous ne craignons pas d’avancer que sans le secours & la réunion de ces deux hommes de lettres, nous serions réduits à la triste impossibilité d’achever l’ouvrage. M. d’Alembert que nous regrettons, a eu la modestie de ne vouloir être annoncé sur le frontispice de l’Encyclopédie, que comme chargé de la partie des mathématiques : mais nous ne devons pas laisser ignorer que depuis le commencement de l’entreprise il s’est livré avec un zèle infatigable, conjointement avec son collègue, à la direction générale de l’ouvrage, & à la composition d’un grand nombre d’articles sur divers sujets. Nous connaissons mieux que personne les obligations que lui a l’Encyclopédie, & notre reconnaissance ne peut lui en donner un témoignage trop authentique ; nous le lui devons à un titre d’autant plus juste, que s’il a consacré son temps & ses soins à l’exécution de cette entreprise, il s’y est porté avec un désintéressement qui annonce la noblesse de son âme. L’amour des lettres, l’amour de la nation, & un sentiment de bienveillance pour nous, ont été les seuls motifs qui l’aient attaché à ce travail pénible, & pour le soutien duquel il fallait avoir beaucoup de courage.

Nous ne pourrions donc trop gémir de sa retraite, si la fatalité des circonstances la rendait sans retour : mais nous espérons que convaincu comme nous-mêmes du besoin que nous avons de lui pour achever l’Encyclopédie, il cédera à la sincérité de nos vœux & à ceux du public. Sa façon de penser honnête & élevée lui fera mépriser des atteintes au-dessus desquelles sa réputation l’a déjà mis ; & il ne refusera pas sans doute à l’empressement général, le secours de ses lumières, pour la continuation d’un livre, qui malgré les clameurs de l’envie, immortalisera ses auteurs ; surtout si l’on peut espérer que la critique se renferme dans de justes bornes.

Nous n’ignorons pas qu’une critique judicieuse & modérée est utile ; les Journaux des Savants & de Trévoux fournissent ordinairement dans ce genre des modèles à suivre. Mais nous croyons aussi, avec tous les gens de bien, qu’un ouvrage qui paraît sous les auspices de l’autorité publique, ne doit être attaqué qu’avec la permission de la même autorité. L’Encyclopédie est soumise à la révision des censeurs ; que la critique soit soumise aux mêmes épreuves : on verra disparaître alors ces écrits ténébreux, dans lesquels en franchissant les barrières de la bienséance, on insulte les auteurs sans instruire le public. Le but de la critique ne doit pas être d’outrager les personnes, mais d’éclairer les esprits ; autrement elle n’est propre qu’à rebuter les talents naissants ou déjà formés. Racine, Newton, & tant d’autres qui ont illustré leur nom par des ouvrages immortels, regrettaient au milieu de leur gloire, la douceur du repos qui leur était enlevé. N’est-ce donc pas travailler contre soi-même, que d’empoisonner la vie de ceux qui renonçant à courir après la fortune, bornent leur ambition à honorer leur siècle & leur nation ?

On a la mauvaise foi de les représenter comme des hommes dangereux ; & l’on paraît, en décriant ainsi les auteurs, vouloir anéantir l’entreprise de la librairie la plus laborieuse qui ait jamais été faite. Nous serait-il permis d’envisager des objets aussi sérieux, avec indifférence ?