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tronquant & les détachant de ce qui les précède & les suit. Par ce détour il intervertit le sens naturel, & par là il séduit la bonne foi de ceux qui ont la faiblesse de le croire sur sa parole. C’est ainsi que l’on captive le suffrage de ceux qui ne prennent pas la peine d’examiner, & qu’on les intéresse à préconiser des faussetés, des satires, & des brochures, dont la licence & la noirceur font tout le mérite.

M. de Voltaire a eu bien raison de dire dans les Mensonges imprimés, « que les hommes réfléchissent peu, qu’ils lisent avec négligence, qu’ils jugent avec précipitation, & qu’ils reçoivent les opinions comme on reçoit la monnaie, parce qu’elle est courante ».

Le mot CERF est un des articles qu’on a relevés avec le plus d’aigreurs & pour insinuer malignement que les auteurs de l’Encyclopédie inclinent au matérialisme, on leur a fait dire que les cerfs parviennent à l’âge de raison. La seule lecture de l’article fera connaître si les accusateurs se piquent d’être équitables : voici le passage tel qu’il se trouve dans le tome II, pag. 840, lig. 3I. « On raconte de leurs courses, de leurs reposées, de leur pâture, ressui, diète, jeûnes, purgations, circonspection, manière de vivre, surtout lorsqu’ils ont atteint l’âge de raison, une infinité de choses merveilleuses qu’on trouvera dans Fouilloux, Salnove, &c. qui ont écrit sur la chasse du cerf en enthousiastes, &c. ». Ces mots, lorsqu’ils ont atteint l’âge de raison, séparés de ce qui les accompagne ont fait crier à l’impiété. On a cru sur la parole des critiques, que les auteurs attribuaient sérieusement un âge de raison aux cerfs, lorsqu’ils citaient au contraire cette expression, & celles qui l’accompagnent, comme ridicules de la part de ceux qui s’en sont servis. Est-il rien qu’on ne puisse condamner, quand on voudra dénaturer ainsi des passages ?

Les encyclopédistes, dit-on, sont une société de prétendus philosophes qui ont projeté le renversement entier de la morale & de la religion. Mais où subsiste cette société qu’on suppose gratuitement ? en quel lieu, en quel temps ont été formés des projets aussi monstrueux ? Il est de la plus exacte vérité que depuis douze ans & plus que l’Encyclopédie est commencée, ceux qui coopèrent à son exécution ne se sont pas assemblés une seule fois ; la plupart ne se connaissent pas ; chacun travaille en son particulier sur le sujet qu’il a adopté ; il envoie ensuite son ouvrage à l’un des éditeurs, sans rapport ni communication avec les auteurs des autres parties. Voilà à quoi se réduit cette association imaginaire contre laquelle on tonne avec tant d’emportement.

Mais quand ces auteurs entraînés par l’effervescence d’un esprit philosophique, voudraient s’écarter de la rigueur des principes reçus, comment le pourraient-ils dans un ouvrage imprimé suivant les règles de la librairie ? L’Encyclopédie est examinée dans toutes les parties qu’elle contient par des censeurs, & aucune feuille n’a jamais été imprimée sans avoir été paraphée par l’un d’eux.

Nous n’insistons sur les imputations faites à l’Encyclopédie, que parce que nous voyons avec douleur qu’un de nos éditeurs, rebuté de toutes ces vexations, a déjà pris le parti de la retraite, & que nous avons lieu de craindre que tous ceux qu’on a rendus participants de ses dégoûts, ne suivent un exemple aussi fâcheux pour nous. Il n’y a pas un seul des coopérateurs qui ne nous soit précieux, & dont nous ne regrettassions la