Page:Diderot - Encyclopédie I (Lettre A) (Extrait Mémoire des libraires associés), 1976.djvu/10

Cette page n’a pas encore été corrigée

S’il est vrai que ce ton choquant pour les autres puisse être reproché à ceux qu’on en accuse, c’est sans doute dans des ouvrages étrangers à l’Encyclopédie qu’on le trouve ; mais nous osons dire que l’ouvrage même en est exempt. Tout juge impartial y verra régner ce ton d’élévation & de noblesse qui doit être l’apanage de l’homme de lettres ; mais ce n’est point par ce prétendu ton de décision & de supériorité, c’est par l’étendue des connaissances qu’on a révolté les auteurs médiocres.

On se convaincra facilement du peu de fondement de ce reproche, en lisant la préface du troisième volume ; les éditeurs s’y plaignent avec modestie des traverses que l’envie a suscitées à l’Encyclopédie. Après une justification aussi simple que véridique, ils déclarent qu’ils regardent ce dictionnaire comme très éloigné de la perfection à laquelle il peut atteindre un jour, & qu’ils ignorent dans quelle vue on leur a fait tenir un langage tout opposé. Ils conviennent qu’il a dû se glisser des fautes dans un ouvrage d’une aussi grande étendue, & ils ajoutent : « Nous avons témoigné au nom de nos collègues & au nôtre, & nous témoignons encore notre reconnaissance à tous ceux qui voudront bien nous faire apercevoir nos fautes ; nous espérons seulement que pour avoir remarqué des erreurs dans cet ouvrage immense, on ne prétendra point l’avoir jugé. » Est-ce là le langage de la suffisance ? Non. Disons plutôt que la passion présente toujours les objets comme elle les voit, & qu’elle ne les envisage qu’avec envie de nuire. De là ces imputations atroces d’impiété, de principes tendant à renverser la religion, la morale, le gouvernement, & la société. De là enfin, ce déchaînement scandaleux avec lequel par animosité contre quelques auteurs particuliers on fulmine contre l’Encyclopédie. Sous le spécieux prétexte de venger la religion, qui n’est point attaquée, on essaye d’émouvoir, contre un livre utile, les puissances les plus respectables & les plus sincèrement dévouées à la piété.

Un des moyens employés pour tâcher de rendre le soulèvement général, a été de reprocher à quelques-uns des auteurs des ouvrages furtifs ; mais les principes que l’on condamne dans ces écrits, ne se retrouvent point dans l’Encyclopédie : ce sont des morceaux étrangers à cet ouvrage, & dont la plupart sont désavoués par ceux à qui on les attribue.

D’ailleurs, quand on supposerait que quelques auteurs encyclopédistes se fussent livrés inconsidérément au vain plaisir de courir à une célébrité chimérique par de pareils écrits, on ne pourrait regarder ces écarts d’imagination que comme une débauche d’esprit, à laquelle plusieurs grands hommes se sont laissé entraîner dans le feu de la jeunesse ; la maturité de l’âge fait sentir le faux d’un pareil travers, & le secours de la réflexion en entraîne le repentir. Un auteur peut avoir eu la faiblesse de signaler ses premiers essais, par un ouvrage répréhensible ; mais le jugera-t-on incapable pour cela d’enfanter des productions utiles ? N’est-ce pas une injustice criante, que de confondre ainsi les temps & les hommes ? & n’en est-ce pas une plus grande encore, que de rendre aujourd’hui responsable de ces fautes, une multitude distinguée de savants, guidée par l’honneur & le désir de servir utilement la patrie ?

Un ennemi aveuglé par l’humeur qui le domine, n’examine un ouvrage qu’avec la volonté déterminée d’y trouver des erreurs ou de lui en supposer. Dissimulant avec soin toutes les parties dignes d’éloges, il ne cite les articles qui le choquent qu’en les