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prie le plus honnêtement que je peux de sortir de mon cabinet ; et son unique ressource est de continuer à ma discrétion une entreprise dans laquelle il s’est engagé, sans savoir où je le conduirais. M. Luneau qui, en qualité d’amphibie, connaît et le rôle d’auteur et celui de libraire, ne niera pas que la chose ne se fasse ainsi.

Si vous vous êtes bien trouvés de l’Encyclopédie en dix-sept volumes, je m’en réjouis ; mais je vous déclare que, sans les persécutions qui détachèrent la plupart de nos auxiliaires, M. Luneau aurait beaucoup plus beau jeu avec vous, ou plutôt avec moi ; car, bon gré, malgré, vous en auriez imprimé vingt-quatre.

Avec le beau zèle dont on était épris en province, à Paris, dans toutes les contrées de l’Europe policée, de contribuer à cette énorme entreprise, il était impossible de savoir jusqu’où nous irions. Fallait-il jeter au feu tous ces matériaux ? M. Luneau répondra : Pourquoi non ? M. Luneau l’aurait fait, sans doute, à ma place. Mais je ne vois pas qu’il faille punir le libraire de ma pusillanimité, ni de quel droit on exigerait de moi le courage de M. Luneau. Chacun a ses lumières et ses principes ; et l’un fera sans conséquence ce qu’un autre rougirait d’oser.

Quant à la loi qu’il vous impose de renfermer toute la matière dans le nombre de volumes annoncés, ou de distribuer l’excédant pour rien, on ne répond pas à cela, messieurs ; on en rit.

Lorsque nous annonçâmes que l’Encyclopédie n’aurait pas moins de huit volumes et de six cents planches, qu’est-ce que cela signifiait ? Qu’alors nous étions possesseurs du fonds de huit volumes de discours et de six cents dessins au moins ; et c’était la vérité. Mais qu’est-ce qu’il y a de commun entre cette annonce et la querelle qu’on vous fait ? Il y aurait eu moins huit volumes qu’on aurait pu vous en demander raison ; il y en aurait eu cinquante que vous n’auriez pas été plus responsables de ce forfait. Il fallait bien que vous crussiez aveuglément ce que nous vous disions ; il fallait bien que vous allassiez comme je vous menais ; et je préviens tout libraire auquel je puis avoir affaire à l’avenir que je n’en userai pas autrement avec lui. Puisse-t-il ne s’en pas trouver plus mal que vous !