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LV

AU MÊME.
Au Grandval, 10 novembre 1770.

Il faut pourtant, mon ami, que je cause encore une fois avec vous avant de quitter ce Grandval, dont les habitants auraient certainement été malheureux comme des chiens (non pas les chiens de Mme d’Aine), si, par le temps qu’il fait, je les avais abandonnés à la discrétion du maître de la maison… Mais il m’apporte le soir ses chiffons ; le matin il vient voir si je m’en suis occupé ; nous en causons et d’autres choses. Il me laisse ; il va fumer sa pipe ; c’est tout juste le moment où sa femme s’enferme pour étudier, où la belle-mère est à sa toilette ou à la cuisine, l’instituteur et les enfants à leur tâche… Ainsi, il ne peut avoir de l’humeur que contre lui-même, et cette humeur n’est point du tout déplacée. L’heure du diner sonne ; nous dînons. Si je vois ses enfants menacés de quelques moulinets, je me jette tout au travers, et cela dure moins. Au sortir de table nous faisons une partie de billard ; nous philosophons, c’est-à-dire que nous ergotons jusqu’à cinq heures, temps où chacun se retire. À sept heures et demie, je leur fais la chouette à lui et à Lagrange ; je perds et tout va bien. Notre souper n’est pas orageux, parce qu’il est court ; nous achevons notre partie après souper ; les femmes, éparses, dorment sur des fauteuils ; si nous sommes tristes, nous ne tardons pas à nous retirer ; nous ne nous couchons tard que quand nous sommes gais, et il n’y a pas de mal à cela. J’ai fait votre commission ; il fallait qu’on s’attendît à quelque chose de votre part, puisque la belle-mère est montée chez moi, pour savoir si dans mes paquets il n’y avait rien pour sa fille. Je remettrai votre billet à mon enfant, lundi soir ou matin, selon l’heure à laquelle nous partirons d’ici ; si nous arrivons à temps, je pourrai bien aller prendre place à côté de la chaise prophétique et sacrée ; cependant n’y comptez pas trop. Rassurez-vous sur la santé de mon corps et sur celle de mon âme ; la maison entière est en fort bon état. Pour Dieu, croyez à