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rait autrement de sa voisine, et qu’on ne balancerait pas à dire qu’elle est fausse et folle.

Je puis me taire sur un rival ; mais si j’en parle, je dirai ce que j’en pense, surtout si j’en pense bien.

Sans moi cela ne serait pas arrivé ? Et c’est vous qui la faites parler ainsi ? N’est-elle pas à présent maîtresse des événements ?

Bonjour, mon ami, bientôt je n’aimerai vraiment que vous, et je n’en serai pas fâché.


LIV

AU MÊME.
Au Grandval, le 2 novembre 1770.

Je réponds en poste à vos deux lettres ; mais, au fait, vous m’entendrez. Il n’y a point de malhonnêteté à exposer un galant homme à toutes les suites d’une passion malheureuse ? Je n’entends pas cela. Quand j’ai hâté la déclaration de ce galant homme, j’ai présumé qu’elle y ferait une réponse claire, nette, franche, bien décidée, bien tranchée, qui finirait tout, et je suis coupable d’en avoir eu trop bonne opinion ? Et parce qu’elle n’a pas fait son rôle, le mien est mauvais, et je me suis rendu garant des événements ? Allez, saint prophète, vous avez commis quelque grand crime, et le Seigneur a fait descendre sur vous l’esprit de vertige ; et elle a quarante-cinq ans, et elle ne connaît ni l’amour, ni ses ombrages ! Et elle ne voit pas qu’elle joue le jeu le plus funeste au bonheur de quatre personnes ; j’y mets le vôtre, car si je deviens fou, la tête vous en tournera. Il n’y a donc qu’à dire à un homme : Je vous aime, je n’aime que vous, et se conduire après cela à sa fantaisie ? On le fait périr, mon ami, à coups d’épingle ; la vie se passe en bouderies, en querelles, en raccommodements suivis de nouvelles querelles ; et puis il faut donc que je partage tous les amusements que ce monsieur lui offrira ? Il y a là dedans je ne sais quoi de vil, de bas, de perfide qui ne me va pas. Chacun a sa façon de sentir, voilà la mienne, je lui ai écrit tout cela ; c’est me perdre bien