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dites encore cela, car cela est vrai. Ajoutez qu’elle a été lue par nos petits-maîtres et nos petites-maîtresses, et que ce n’est pas sans un mérite rare qu’on fait lire des jérémiades à un peuple frivole et gai. Vous n’ignorez pas que la gloire qu’un auteur retire de son travail est la portion de son honoraire qu’il prise le plus ; et voilà que vous en dépouillez M. Le Tourneur ! et c’est vous qu’on appelle le juste par excellence ! C’est vous qui commettez de pareilles iniquités ! Mais le libraire Bleuet, qui s’est chargé de l’ouvrage, qui en a avancé les frais et l’honoraire à l’auteur, que vous a-t-il fait ? Ternir la réputation d’un homme ! sceller autant qu’il est en soi la porte d’un commerçant ! Ah ! monsieur Grimm, monsieur Grimm ! votre conscience s’est chargée d’un pesant fardeau ; et il n’y a qu’un moyen de s’en soulager, c’est de rendre incessamment à M. Le Tourneur la justice que vous lui devez. Si vous rentriez en vous-même ce soir, lorsque vous serez de retour de la Comédie-Italienne, où vous vous êtes laissé entraîner par Mme de Forbach, lorsque les sons de Grétry ne retentiront plus dans vos oreilles, et que votre imagination ne s’occupera plus du jeu de l’inimitable Caillot, lorsque tout étant en silence autour de vous, vous serez en état d’entendre la voix de votre conscience dans toute sa force, vous sentirez que vous faites un métier diablement scabreux pour une âme timorée.


LII

AU MÊME[1].
15 octobre 1770.

Tâchez d’entendre ce petit logogriphe.

Je vous avais écrit hier, mon ami ; j’allai porter ma lettre à votre porte, où elle n’arriva pas. On en exigea la lecture. On jura que, quoi qu’elle contînt, on ne s’en offenserait pas ; on s’en offensa, et elle fut déchirée.

  1. Inédite. Communiquée par M. Dubrunfaut. Ce « petit logogriphe », comme l’appelle avec raison Diderot, a trait à sa passion momentanée pour Mme de Prunevaux.