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ni que la postérité, qui est toujours juste, reverse sur vous une petite portion du blâme qui devrait résider tout entier sur eux. Pourquoi leur serait-il permis de vous associer à leurs forfaits ?

Les philosophes ne sont rien aujourd’hui, mais ils auront leur tour ; on parlera d’eux, on fera l’histoire des persécutions qu’ils ont essuyées, de la manière indigne et plate dont ils ont été traités sur les théâtres publics ; et si l’on vous nomme dans cette histoire, comme il n’en faut pas douter, il faut que ce soit avec éloge. Voilà mon avis, monsieur, et le voilà avec toute la franchise que vous attendez de moi ; je crains que ces rimailleurs-là ne soient moins les ennemis des philosophes que les vôtres.

Je suis avec respect, etc.


LI


À GRIMM[1]
Juin 1770.

Monsieur le maître de la boutique du Houx toujours vert, vous rétractez-vous quelquefois ? Eh bien ! en voici une belle occasion. Dites, s’il vous plaît, à toutes vos augustes pratiques que c’est très-mal à propos que vous avez attribué l’incognito à la traduction des Nuits d’Young par M. Le Tourneur. Dites, sur ma parole, que cette traduction, pleine d’harmonie et de la plus grande richesse d’expression, une des plus difficiles à faire en toute langue, est une des mieux faites dans la nôtre. L’édition en a été épuisée en quatre mois, et l’on travaille à la seconde ;

  1. Grimm, en insérant cette lettre dans son « ordinaire » du 15 juin 1770, l’a fait précéder de la note que voici : « L’autre jour, en rentrant dans mon atelier, j’appris que Caton Diderot y était venu pendant mon absence et qu’il avait porté des yeux indiscrets sur une de mes feuilles précédentes. Je trouvai sur ma table la réprimande suivante dont ma conscience ne me permet pas de supprimer une syllabe et que je ferai même graver sur une table d’airain qui sera suspendue dans ma boutique pour me rappeler sans cesse la misère de mon métier. »