Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’a paru qu’on prenait la chose assez froidement : quand on a embrassé un état, il en faut savoir supporter les dégoûts. Il leur a été impossible de concevoir une haute opinion du talent d’un homme malhonnête ; car celui-là est malhonnête qui calomnie publiquement, et qui dévoue, autant qu’il dépend de lui, à la haine générale de bons citoyens. Au reste, votre condescendance sur ce point sera toujours regardée comme une nécessité à laquelle vous n’aurez pu vous soustraire. Ils savent tous qu’ils ont mérité quelque considération de votre part, et ils redoutent plus pour vous les réflexions d’un public impartial que, pour eux, la méchanceté d’un poëte. Ce que vous pensez vous-même de la licence que cet exemple pourrait introduire ne leur a point échappé. Quant à moi, qui n’ai pas la peau fort tendre, et qui serais plus honteux d’un défaut que j’aurais que de cent vices que je n’aurais pas, et qui me seraient injustement reprochés, je vous réitère que si j’avais été le censeur du Satirique, j’aurais souri à toutes ces injures, n’en aurais fait effacer aucune, et les aurais regardées comme des coups d’épingle plus douloureux à la longue pour l’auteur que pour moi. Cet homme, quel qu’il soit, croit n’avoir aiguisé qu’un couteau à deux tranchants : il s’est trompé, il y en a trois ; et le tranchant qui coupe de son côté le blessera plus grièvement qu’il ne pense. Quelle est la morale de sa comédie ? c’est qu’il faut fermer sa porte à tout homme d’esprit sans principes et sans probité. On la lui appliquera, et le sort qui l’attend est le mépris et une demeure à côté de P…[1].

Je ne crois pas que la pièce soit de ce dernier ; on n’est pas un infâme assez intrépide pour se jouer soi-même et pour faire trophée de sa scélératesse. Si c’est M. de Rulhières, coupable de la même indignité que P…, il est plus vil que lui, puisqu’il s’en cache.

Au reste, monsieur, si l’auteur croit que quelques vers heureux suffisent pour soutenir un ouvrage dramatique, il en

  1. Diderot était encore alors dans l’erreur commune, puisqu’il inclinait à regarder Palissot comme étranger à cette pièce que, depuis, cet auteur a avouée et défendue avec chaleur. (Br.)