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aux principaux arguments qu’il attaque ne sont pas aussi victorieuses qu’il l’imagine ; il y en a auxquels il ne répond point du tout. Il disjoint les idées ; il aperçoit fort bien les inconvénients des vues de l’auteur, il n’aperçoit pas les inconvénients des siennes. Il attribue au chevalier ce que la vérité du dialogue exigeait qu’on mît dans la bouche de ses interlocuteurs, et il lui en fait un crime ou un ridicule. Tout cela est mal, et je vous proteste qu’à la place de l’abbé Galiani, je ne serais affligé de cette critique que parce que je me serais peut-être flatté d’un ton et d’un procédé plus honnêtes. Le caractère du réfutateur en sera un peu plus barbouillé ; on n’en aura pas plus haute opinion de sa suffisance, et la question n’en sera pas plus éclaircie. Les dialogues conserveront toute la faveur qu’ils ont obtenue, et l’ouvrage dont il s’agit n’aura qu’augmenté le nombre des ouvrages économiques qu’on ne lit plus. La lutte contre un homme de génie qui connaît le monde et les hommes, le cœur humain, la nature de la société, l’action et la réaction des ressorts opposés qui la composent, la force de l’intérêt, la pente des esprits, la violence des passions, les vices des différents gouvernements, influence des plus petites causes, et les contre-coups des moindres effets dans une grande machine, est une lutte périlleuse, comme M. Turgot le savait bien, et comme M. l’abbé Morellet l’aura prouvé, après M. l’abbé Beaudeau, M. Dupont et M. de La Rivière.

L’abbé Galiani n’a pas besoin, pour paraître grand, que M. l’abbé Morellet se mesure avec lui. Le seul parti que la critique pourrait tirer de son travail, ce serait d’en faire une bonne lettre qu’il enverrait à celui qu’il appelait à Paris son ami. Il y aurait dans ce sacrifice moins à perdre qu’à gagner ; car cet ouvrage passera sans faire la moindre sensation, malgré le nom et la célébrité de l’auteur, à qui il n’en restera qu’un petit vernis d’homme noir. Après s’être donné une entorse à un pied dans l’affaire de la Compagnie des Indes, il ne faudrait pas s’en donner une à l’autre pied dans celle des blés ; car c’est sous peine de ne pouvoir plus marcher. Si l’abbé Morellet avait ceint le tablier dans la boutique de M. de Mirabeau, et qu’il eût été personnellement offensé, qu’aurait-il fait de pis ? Je ne voudrais prendre ce ton amer qu’avec mon ennemi, encore ne serait-ce qu’en représailles. Je vois avec chagrin que les