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sent pour elle et des juges qui osassent prononcer en sa faveur ? Soyez très-assuré, monsieur, que la juste terreur qu’on avait conçue du ressentiment des frères a mené toute cette affaire en province, et que la dissimulation habituelle des avocats et procureurs lui a fait prendre un tout à fait mauvais tour à Paris. Monsieur, que vous êtes à plaindre, destiné à prononcer sur l’honneur, la fortune et la vie des citoyens et à ne presque jamais entendre la vérité ! Il faudrait presque aussi souvent faire justice des avocats que des parties. Toute ma vie, je regretterai de n’avoir pas embrassé cette profession. Je n’aurais peut-être pas montré au Palais un grand orateur, mais j’y aurais certainement montré un homme véridique.

En un mot, monsieur, toutes ces prétendues spoliations ne sont rien, mais rien du tout ; toutes les preuves qu’on en apporte, que des fausses apparences fondées sur les démarches secrètes d’une enfant qui cherchait à sauver le peu de guenilles qui lui appartenaient et qui restaient à la maison, après la mort de sa mère. Son état indigent ne le prouve que trop ; d’ailleurs elle a de la religion, des sentiments et de la probité, qualités qui répondent d’elle et dont les frères sont mal pourvus. Je l’ai tenue ici sur la sellette. Je l’ai interrogée, tournée, retournée ; et la seule objection que j’ai eu à lui faire, c’est de n’avoir pas répondu à ses juges comme elle me répondait. Si les frères Desgrey succombent, comme je me le promettrais si je pouvais donner à leur chef la même conscience que j’ai, ils resteront dans leur état, et ils y seront bien s’ils reviennent de leurs folies. Si le jugement est défavorable à leur sœur, elle est ruinée et réduite à l’indigence. Que diraient ses père et mère s’il était possible de les ramener à la vie et de leur montrer le seul enfant qu’ils eussent raison de chérir écrasé, dépouillé et condamné à la hart et à la servitude !

Je ne sais si j’ai l’honneur de vous être connu ; mais les premiers magistrats de ce pays-ci, des prélats même, aussi distingués dans l’Église par leurs vertus que par leur dignité, vous attesteraient que dans une affaire de la plus grande importance et qui me serait personnelle, rien au monde ne me déterminerait à m’écarter de la vérité. Il faut défendre ses opinions par ses mœurs ; et moins les opinions sont populaires, plus il importe que les mœurs soient irrépréhensibles. Des colonnes de