Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il les ait consignés dans quelques mémoires que je ne connais pas, publiés ou inédits, car je n’ai pas lu tous les ouvrages de Diderot…

… Diderot n’a guère pu faire mention du billet assez curieux que l’impératrice écrivait à son sujet à Mme  Geoffrin. En voici la teneur : « Votre Diderot est un homme bien extraordinaire ; je ne me tire pas de mes entretiens avec lui sans avoir les cuisses meurtries et toutes noires ; j’ai été obligé de mettre une table entre lui et moi pour me mettre, moi et mes membres, à l’abri de sa gesticulation. » Cette gesticulation était si connue qu’on l’accusait de s’emparer à table des bras de ses deux voisins, de ne cesser de parler et de n’en pas moins manger du plus grand appétit.

Pour bien connaître Diderot et le juger, il fallait le voir chez Pigalle (le Phidias des temps modernes) où, pendant plusieurs années, nous avons eu un dîner de fondation le vendredi et où, ni lui ni moi, n’avons jamais manqué ; l’abbé Raynal y venait souvent ; Cochin, La Tour y étaient assidus et plusieurs savants et artistes célèbres, chevaliers de Saint-Michel, tels que Perronet, etc. Là, Diderot était véritablement lui-même, il y était ce que la nature l’avait fait, aimable, simple et bon ; il laissait à la porte le manteau philosophique que chaque fois qu’il paraissait dans un certain monde il allait emprunter à la friperie encyclopédique. Ce sont (par la liberté dont on y jouissait) les plus agréables dîners que j’ai faits à Paris : j’y ai suivi Diderot jusqu’en 1783, que je quittai Paris, et je crois qu’il est mort l’année suivante. Tout au travers des disputes et des discussions littéraires et philosophiques il engageait avec ces artistes distingués des conversations sur les arts pleines du plus grand intérêt. Diderot, qui les avait décrits dans l’Encyclopédie, parlait pertinemment de tous, excepté de celui de la musique qu’il voulait cependant se piquer de connaître et à laquelle il n’entendait rien. C’était apparemment pour justifier cette prétention que je me souviens qu’il nous racontait avec complaisance la protection qu’il avait accordée à un fort bon musicien, nommé Bemetzrieder.

Ce Bemetzrieder paraît un jour chez lui (car ce qui fait honneur à Diderot, c’est qu’il lui tombait souvent des nues des gens à talent qui ne savaient que devenir à Paris et qui cher-